Le Repenti

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Regard sur un pardon impossible, dans un drame social exemplaire.

L’ouverture rappelle la fin de Blood Simple (1984) des frères Coen. Un homme court dans une étendue neigeuse, seul. Soubresaut de l’image, stridence de la respiration brûlante du fugitif, nature désertique et sèche sous l’hiver, cette première scène est exemplaire de puissance visuelle.

Algérie, 1999. Après l’élection de Bouteflika, les citoyens approuvent par référendum la loi sur la « Concorde civile », dernière étape des démarches de clémence engagées par l’État envers les combattants du FIS (Front islamique du salut) et de l’AIS (Armée islamique du salut). Suite à sa mise en application l’année suivante, 80% des combattants islamistes se rendent et rejoignent la société algérienne.

Le personnage qui court, Rachid, est l’un d’eux, un « repenti » (El taaib). Il rejoint sa famille miséreuse, abandonnant ses « frères » djhadistes des montagnes pour retrouver une condition d’homme honteux, considéré comme terroriste par les gens de son village.

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs l’an passé, Le Repenti prend à bras-le-corps la problématique du pardon national, et concitoyen, après des années de guerre civile et de massacres de civils. Allouache choisit à dessein un personnage principal peu aimable (comment pourrait-il l’être ?) qu’il confronte à un couple, aujourd’hui séparé, de citadins instruits dont la fille fut enlevée par les islamistes.
 
 


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Cinéaste du célèbre Omar Gatlato (1976), l’algérien Merzak Allouache a considérablement mis en récit le drame des « années de braises » de son pays, alors même qu’il était forcé de vivre en France – d’un documentaire (L’Après octobre, 1989) sur les émeutes populaires d’octobre 1988 jusqu’à Bab el-Oued City (1994), film de fiction fait sous le manteau où il partageait les colères du peuple algérois.

Patiemment, il construit un parallèle entre le quotidien de Rachid, qui réapprend à vivre en société, et celui de l’homme divorcé. La mise en place de leur rapprochement est mystérieux, confirme les qualités de distance et de retenue des plans. Aussi, l’Algérie est filmée : Allouache ne laisse rien de côté, ni la beauté froide des étendues arides soudain ensoleillées, ni la décrépitude d’une ville de la région des Hauts-Plateaux.

C’est l’histoire récente d’un pays qui côtoie la fiction et son efficacité de transmission. Car si ce scénario pourrait aussi bien être celui d’un thriller, Allouache s’est pourtant servi d’un fait divers pour le construire. Ainsi, le spectateur est au cœur de ce mélange : l’intime et le national, la fiction et une approche documentaire, où s’écrit en creux une souffrance générale. Alors, si la réalité est si proche, le pessimisme du cinéaste a bien le droit de cité. Les personnages, définis en pointillés, sont tous blessés, traumatisés par un passé qu’ils ne communiquent jamais. Le réalisateur dit (la cruauté de son scénario l’atteste) combien la repentance de ses personnages est aussi inextricable que celle de son pays ; les hommes resteront lâches, certains paieront pour leur humanisme et les autres demeureront barbares.
 
 

 
 
Deux scènes culminent dans leur efficacité dramatique. Deux scènes de mouvements, d’action, les seules avec la course du début du film. D’abord une tentative de meurtre au couteau dans laquelle on rentre par deux plans, l’un bref en amorce de l’assaillant, l’autre en gros plan sur le visage de la victime, Rachid. On réalise à ce moment-là combien la sécheresse de la mise en scène est frontale, au plus près des gestes de Rachid, de sa peur animale qui surgit dans cette scène, à moins que ce ne soit le souvenir d’un entraînement. La scène est froide, peu chorégraphiée, il y a là une volonté de capter un acte de vengeance dans son dénuement le plus rude, son assouvissement le plus aléatoire, primaire. Yeux fuyants, regard hébété, le jeune homme attaqué semblerait presque naïf ; en creux, c’est l’enfant algérien des années 1990, inéduqué et malléable, qui répond à la violence par la violence. 
 
L’autre scène survient à l’épilogue du film. Un tour de force, l’enfermement dans l’habitacle d’une voiture où se règle les comptes d’années de frustrations et d’un marché inhumain, dont on ne dira rien ici. Trois personnages collés dans le plan pendant quinze minutes, forcés de faire route ensemble. De dialogues en cris, la tension dramatique monte, jusqu’à une apothéose complètement mélodramatique. D’aucuns diront trop, même si la retenue de toute la mise en scène, ses va-et-vient patients préfiguraient évidemment cette déflagration dramatique.

Cela dit, plus encore, le plan final du Repenti réglera son compte à ce « foutu humanisme » qui a perdu un des personnages. La conclusion du film est en soi un acte politique, la signature très sombre d’un cinéaste au pessimisme étranglant.

Titre original : El Taaib

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Durée : 97 mn


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