Avec ce film enchanteur, Sergio Machado évoque une expérience pédagogique brésilienne de tout premier plan.
Un concerto de Mozart qui envahit le dédale des venelles d’une immense favela au Brésil. Soudain la caméra se rapproche de la source de la divine musique et l’on découvre que c’est un orchestre de jeunes violoncellistes qui jouent à même le béton d’un petit terrain de football entouré de hauts grillages et de murs tagués. Un européen croira facilement à une élucubration, à un mauvais clip mélangeant deux choses irréconciliables, qui ne peuvent coexister : la grande musique et la pauvreté d’une favela. Pourtant, cette scène, aussi incongrue soit-elle pour un occidental, correspond bel et bien à une réalité au Brésil. C’est cette réalité que Sergio Machado, réalisateur brésilien, nous dévoile d’une manière enchanteresse dans Le Professeur de violon en nous racontant l’histoire de Laerte, talentueux soliste qui accepte à contrecoeur d’enseigner la musique à des adolescents d’Héliopolis, la plus grande favela de Sao Paulo.
Encore une fois, on aurait pu croire à la lecture des premières lignes de l’argumentaire à une fable, à un film démagogique, facile, comme si l’idée d’apprendre le solfège à des jeunes déshérités des favelas devait être sortie de la pure imagination d’un scénariste trop porté à émouvoir le chaland. Or, si le film de Machado est d’une très grande force et disons le d’emblé un beau film, c’est qu’il relate en partie l’histoire vraie du chef-d’orchestre Silvio Baccareli qui, en 1996, après avoir été témoin d’un incendie qui détruisit un bâtiment d’Héliopolis et touché par la détresse des familles, décida d’offrir des cours de musique pour que les enfants et adolescents de cet immense quartier puissent apprendre à jouer d’un instrument. Vingt ans plus tard, l’Institut Baccarelli dont l’existence est garantie par une loi fédérale, est une véritable institution au Brésil. C’est une association à but non lucratif qui pourvoie aux jeunes d’Héliopolis une éducation musicale et artistique de haut niveau. La réussite de l’école dépasse même les frontières puisque chaque année 75 élèves-musiciens composant l’Orchestre symphonique d’Héliopolis se produisent dans des grandes capitales du monde.
Le Professeur de violon s’ancre donc véritablement dans la réalité, et si la forme qu’il prend peut nous sembler merveilleuse, elle ne se départit jamais d’un réalisme certain, en n’occultant pas les difficultés que peut rencontrer un professeur dans la transmission de son savoir à des enfants d’une favela. Le réalisateur ne passe pas non plus sous silence la délinquance qui peut affecter le plus prodige de ses élèves, comme il inclut aussi dans son histoire, de manière générale, la violence et le banditisme des favelas. À aucun moment le cinéaste ne nous dit benoîtement que les violons vont terrasser ces fléaux. La violence est simplement un élément avec lequel chacun doit cohabiter. À propos du Professeur de violon on peut d’ailleurs faire une analogie avec De battre mon cœur s’est arrêté (Jacques Audiard, 2005), sur la coexistence dans ces deux films de la brutalité avec la douceur et la beauté la plus admirable de la musique classique. Il y a (toute proportion gardée car le film d’Audiard a une tonalité infiniment plus dramatique que le film de Machado) dans ces deux films ces deux forces contraires, la violence et la musique – Eros et Thanatos – qui suivent leur chemin presque en parallèle comme si les dès étaient jetés au départ, qu’il ne servait à rien qu’elles s’affrontent.
Loin aussi de simplifier l’action pour se concentrer sur la magie de la musique, Machado met en scène en la personne de Laerte (excellent Lázaro Ramos) un héros complexe, souvent en proie au doute, ne perdant à aucun moment de vue son ambition de devenir soliste de l’Orchestre symphonique de Sao Paulo, mais aussi plein d’humour, de dévouement et de tendresse cachée pour ses élèves. Si nous croyons aussi de bout en bout à la très belle histoire que nous conte le cinéaste brésilien c’est sans doute grâce à son utilisation, parmi les jeunes musiciens, d’un mélange d’acteurs non-professionnels, de quelques acteurs expérimentés, de musiciens de l’Orchestre d’Héliopolis, mais aussi de débutants qui ont ainsi pu apprendre des bases musicales durant le tournage.
Mais si Le Professeur de violon est un ravissement, c’est avant tout grâce à l’émotion que nous procure la musique de Bach, Mozart et Beethoven jouée par des enfants que rien absolument rien ne prédestinait à pouvoir apprendre la musique un jour. Il y a dans cette émotion qui émane de certaines séquences musicales du film un sentiment d’infini, une perception individuelle et collective unique qui s’appelle la joie.