En pleine Guerre Froide, les Américains voient des espions soviétiques partout. Le 19 juin 1953, Ethel et Julius Rosenberg, sont jugés coupables d’espionnage et exécutés ; quelques années plus tard, c’est Rudolf Abel qui encourt à son tour la chaise électrique pour le même chef d’accusation. Méprisé par l’opinion publique, et l’institution judicaire, sa réputation contamine celle jusqu’ici sans tache de son avocat James Donovan. C’est pourtant lui qui sera ensuite choisi pour négocier un échange entre son client et Francis Gary Powers, pilote dont l’avion espion s’est fait abattre au-dessus de l’Union Soviétique. Donovan est dépêché à Berlin Est par la CIA, officieusement, en free-lance officiellement.
Spielberg a toujours aimé les hommes normaux révélés à eux-mêmes par une situation extraordinaire. Comme Ray Ferrier, père de famille défaillant sauve sa fille d’une invasion extraterrestre ; comme Indiana Jones, banal professeur de philosophie, découvre le Graal ; James Donovan citoyen américain lambda se trouve soudain propulsé diplomate international. Mais c’est en fait à Oskar Schindler qu’il s’apparente le plus dans sa façon d’utiliser le système pour s’en servir contre lui : la Constitution américaine lui permet de sauver un ennemi, l’absence de couverture diplomatique lui permet de prendre les négociations en main sans en référer à quiconque etc. Autre grand motif spielbergien : celui de la révélation, ce lieu de passage entre la relative insouciance du personnage et sa prise de conscience quant à la gravité de la situation qui va l’amener à prendre ses responsabilités. A ne plus détourner le regard car la caméra le met dos au mur : c’est le travelling compensé de Brody face à l’attaque du requin, le plan serré de Schindler devant la liquidation du ghetto de Varsovie et le gros plan de Donovan face à la réalité du mur de Berlin. Un instant qui teinte toujours les happy end d’une certaine mélancolie.
Devant des enjeux aussi complexes que ceux de la Guerre Froide, la facilité des négociations ne laisse cependant pas d’étonner, comme si tout à coup le film se faisait l’écho de la très étrange nostalgie d’une époque où les conflits étaient plus clairs, et les discussions encore possibles.