Le pavillon d’or

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En incendiant la pagode dorée de Kyoto, relique architecturale, un jeune bonze expérimente une catharsis intérieure et la purgation des traumatismes qu’il a vécus jusqu’alors. Adaptant librement le roman de Yukio Mishima dans un scope noir et blanc éclairant le côté sombre du personnage, Kon Ichikawa suit l’itinéraire d’apprentissage torturant qui a conduit son antihéros à commettre l’irréparable.

« La seule pensée que la beauté pût déjà exister quelque part à mon insu me causait un indicible sentiment de malaise et d’irritation, car si effectivement, elle existait en ce monde, c’était moi, qui par son existence, m’en trouvais exclu. La beauté est une offrande en même temps qu’une injure à celui qui naît sans grâce. »  ( Le pavillon d’or /Yukio Mishima)

L’incendie volontaire du temple sacré comme pur acte de castration

Jeune aspirant moine bouddhiste zen ostracisé pour son bégaiement, Mizoguchi Goichi ( Raizo Ichikawa) est en butte à une crise spirituelle et psychologique. Soucieux de rompre avec sa famille dysfonctionnelle, il éprouve un vif ressentiment à l’encontre d’une mère vulgaire, insinuante et acariâtre (Tanie Ktabayashi) qu’il a surpris trompant son père moine avec son oncle. Peu avant de mourir, ce père adulé lui a transmis les valeurs éthiques de l’idéalisme et la vénération du temple Shukaku, trésor national japonais. Pour lui permettre de surmonter le traumatisme de la disparition subite de ce père et réconcilier la magnificence sacrée du sanctuaire avec la réalité d’après-guerre, le jeune bonze stoïque est confié à la garde tutélaire du prieur du temple, Tayama Dosen (Ganjiro Nakamura). Novice promu gardien du temple, il peut contempler tout à loisir ce bijou de raffinement et de fascination.

Sous l’influence de la domination de l’occupant américain et de l’occidentalisation des moeurs nippons, le site s’est transformé. Chéri par le legs culturel du père qui l’envisageait comme le plus bel endroit au monde du fait de son caractère immuable, le haut lieu est devenu désormais une attraction touristique, symbole de l’effondrement des valeurs traditionnelles du Japon. L’idéalisme de Goichi est  dès lors submergé par un anéantissement complet.  L’américanisation du pays semble avoir corrompu les interactions humaines. La fonction première du temple comme lieu de prière est dévoyée en lieu de villégiature. Une scène édifiante en particulier montre un GI américain flanqué de sa maîtresse japonaise enceinte de lui. Dans un réflexe de rejet, Goichi, repousse violemment l’intruse japonaise hors des limites du temple, conduisant à une fausse couche. Il est remercié en retour par le soldat d’une cartouche de cigarettes pour l’avoir délivré d’un problème épineux. La critique sous-jacente de la société moderne japonaise happée par l’argent et le matérialisme révèle la perte des valeurs bouddhistes.

Désabusé par le dévoiement et la profanation à des fins mercantiles du temple millénaire, Goichi ressent insensiblement, dans son tourment intérieur, que la seule action purificatoire réside dans la mise à feu du temple sacré selon un geste libérateur. Le temple érigé est perçu comme un phallus symbolique . Son incendie volontaire est un pur acte de castration.

Le  film d’apprentissage se présente comme une parabole, une interprétation allégorique des profondes contradictions qui traversent l’archipel nippon occidentalisé comme la résultante du chaos et de la dévastation des suites de sa défaite humiliante dans le Pacifique.

 

 

La réalité moderne du Japon d’après-guerre vient démentir l’illusion de son intemporalité ancestrale

Le pavillon d’or est traversé par une spirale autodestructrice qui dicte in fine l’acte impie au jeune moine. Les personnes qui gravitent autour de lui représentent ses fragilités et l’état de décomposition de la société nippone. Le prieur du temple, substitut de la défunte figure paternelle, bafoue son voeu de chasteté en frayant avec une geisha qu’il met en cloque. Tokari (Tatsuya Nakadai), aigri par son pied-bot, instille des idées nihilistes dans l’esprit de Goichi. Il est sa mauvaise conscience.

Ichikawa laisse planer un doute quant aux intentions pures du jeune zélote sans cesse détrompées par la réalité alentour qui empêche toute identification du spectateur. Il laisse à penser qu’il n’est pas qu’un coeur pur mais aussi un canard boiteux doublé d’ un pleurnichard névrosé aux penchants homosexuels refoulés- encouragés par le rejet de la relation sexuelle exemplifié par sa mère adultère- qui n’a pas encore fait son coming-out.

La destruction par les flammes de la pagode dorée marque l’effondrement du rêve impérialiste.  Le film pose le dilemme en filigrane:  comment le sujet peut-il reconduire l’héritage paternel de beauté après que le Japon ait été défiguré par les nuages atomiques dans un avant-goût d’ apocalypse nucléaire ? Mizoguchi Goichi entend soustraire aux forces d’occupation ce joyau millénaire qu’est le pavillon d’or en y mettant le feu. Manifestant par là même la volonté de rendre le sanctuaire à sa culture par la vertu purificatrice du feu.

Le pavillon d’or s’ouvre et se ferme sur un interrogatoire. Il est d’emblée établi que Goichi est l’incendiaire du temple du pavillon d’or et un long flashback s’ensuit.  Dans la culture occidentale, la culpabilité peut être soulagée comme la reconnaissance d’ un fait accompli à travers la confession. Dans la culture japonaise, la honte et l’humiliation ne peuvent être absoutes avant que le coupable soit en conformité avec ce que la société est en droit d’attendre de lui. Ce qui conduit au suicide de Goichi.

Le transitoire peut allumer la flamme du tourment

L’écrivain nationaliste Yukio Mishima considérait, quant à lui, le processus d’ américanisation comme un piétinement indigne de ce qui faisait la gloire ancestrale de la japonité; culminant dans son suicide théâtral par harakiri (seppuku), rituel sacrificiel et expiatoire qui le lavera pour toujours du déshonneur et de l’humiliation. La destruction par le feu du temple sacré est l’expression ultime pour Goichi de son aversion envers lui-même et de son sens de l’indignité.

Le pavillon d’or est une allégorie sur la manière dont le transitoire peut allumer la flamme du tourment. En cela, il est un acte intemporel de critique sociale , une méditation sombre sur l’ajustement spirituel de l’être humain aux vicissitudes de la vie. Demeure malgré tout cette perspective bouddhiste qui entrevoit l’attachement aux choses comme une entrave à l’élévation et l’illumination.

Pour la petite histoire, le véritable incendiaire en 1950 du temple Shukaku , Yoken Hayashi, tenta de se suicider mais survécut pour être jugé et écoper de sept ans d’emprisonnement. Relâché en 1955 pour schizophrénie, il mourut de tuberculose.

Splendor films ressort en salles le pavillon d’or en cinémascope noir et blanc dans une version HD restaurée 4K.

Titre original : Enjo

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