Gaetano, brillant saxophoniste, est hospitalisé suite à un accident de moto. Le professeur Guido Dominici chargé de l’opération manque cruellement de concentration et échoue dans son sauvetage. Cécilia, la petite amie de Gaetano, va alors persécuter le médecin. Plongé in médias rès dans une sexualité sans filtre, rythmée par le thème lancinant du célèbre et ici annonciateur Mourir d’aimer, joué par un saxophone dont le souffle deviendra anatomiquement intrusif par la suite, Le miel du diable coche toutes les cases de ce que l’époque actuelle qualifie hypocritement de porno chic. L’exhibitionnisme d’un couple dont les plaisirs se nourrissent de frissons et de souffrances semble un motif de provocation « gratuite » sans limites. Fausse piste, car dans ces scènes chocs à l’esthétique Halmitonienne, Fulci sait se jouer des couleurs pour détourner les reflets libidineux du voyeurisme. Le rouge, couleur annonciatrice d’un drame irrémédiable s’impose sans retenue : vibrant, et irréaliste aplat de couleur en arrière-plan mural lorsque Cécilia s’abandonne totalement aux caresses de Gaetano. Et, coulures de vernis à ongle sur la partie la plus haute et centrale des bas de la prostituée engagée par Guido. Comme chez Brian de Palma on ne sait jamais quand le sexe fini d’être un simple jeu. Jeux de regards, jeux de cadres, qui prend le plus de plaisir : le voyeur, l’exhibitionniste ? Le coupable, la victime ? Autre point commun entre les deux réalisateurs, reprendre brutalement et sadiquement la main sur le sort de ceux qui flirtent en permanence avec la mort pour se sentir vivant. Comme Jack (John Travolta) dans Blow out (1981), à l’hôpital Cécilia a beau hurler pour sauver son amant, la vitre du bloc opératoire restera à jamais infranchissable.
Scorie d’un érotisme essentiellement orienté vers un public masculin, seules les beautés féminines sont photographiés sous tous les angles, et dans leur tenue d’Eve, tandis que les hommes, pourtant très séduisants, n’ont que leur torse à offrir. Occasion nous est donné de retrouver Corinne Cléry – célèbre nymphette d’Histoire d’ô (Just Jaekin, 1975) – dans le rôle d’une épouse aussi délaissée que désirable, et de découvrir la fine silhouette de Blanca Marsillach, jamais frileuse lors des scènes physiques – en simple objet de désir ou en situation de revenge girl. La masculinité -ou plutôt ce qu’il en reste- ne sort pas du tout grandit dans cette opposition des sexes, bien au contraire. Directif, impulsif, Gaetano a souvent recours à un accessoire : saxo, pistolet, caméra pour stimuler son imagination… Latin lover grisonnant, très bien installé socialement, Guido se réfugie dans de minables hôtels de passe au lieu d’assumer ses devoirs conjugaux. Une fois sous le joug de Cécilia, son impuissance montera encore en puissance. Une fois n’est pas coutume, Le Diable, synonyme du désir féminin, n’est pas associé à une forme de dérive comportementale, ou d’étrange insouciance, comme ce sera le cas dans Le diable au corps (Marco Bellocchio, 1985), qui, lui, fera couler beaucoup d’encre à sa sortie.
Dans Le miel du Diable, la force des personnages féminins donne une véritable âme aux tragédies amoureuses, au cœur d’ un récit qui se révèle alors aussi émouvant que subversif. Nouvelle preuve, si besoin, que Lucio Fulci est très loin de n’être qu’un habile réalisateur de films d’exploitation.
Le miel du diable. (Combo Blu Ray/ DVD) est disponible chez Artus films.