Le Majordome

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Forest Whitaker met ses gants blancs pour incarner l´un des seuls acteurs noirs, majordome, à la Maison-Blanche. Touchant, le nouveau film de Lee Daniels tient ses promesses.

Tout commence dans les champs de coton. Un adolescent à la peau noire, les yeux grands ouverts sur le monde qui l’entoure, aide ses parents – Mariah Carey dans le rôle de la maman – à récolter le précieux bien blanc. Et puis sa mère est emmenée dans une cabane par le jeune propriétaire brutal et avide de sexe. Son père regarde, mais ne dit rien. Une scène traumatisante. L’adolescent va grandir. Il va lui aussi avoir sa propre famille, travailler avec de riches propriétaires blancs, faire face à la tyrannie ségrégationniste. Tout le thème du film est là. Faut-il accepter ? Se rebeller ? Écrire une nouvelle histoire ? Se taire ?

Lee Daniels, réalisateur de l’excellent Precious (2009) sur une adolescente que la vie secoue à l’extrême et du plus récent Paperboy (2012), en plein cœur de la Floride entre romance et crime, s’attache cette fois-ci à une histoire vraie, celle d’un majordome au service de sept présidents, des années 1950 aux années 1980. À travers ce témoignage, c’est l’Histoire américaine et surtout l’histoire des Afro-Américains, à chaque changement politique, à chaque mouvement de lutte pour une reconnaissance des droits pour tous, qui est racontée. Le pari est réussi : chaque président est élu et côtoie Cecil Gaines, le majordome, à sa façon. Plutôt autoritaire et injuste pour les uns, plutôt intime et de confiance pour les autres. Dans la peau de ces hommes politiques, une ribambelle d’acteurs stars américains se succèdent, John Cusack en Richard Nixon, James Marsden en John F. Kennedy, Alan Rickman en Ronald Reagan et la fabuleuse Jane Fonda – presque méconnaissable – dans la peau de Nancy Reagan. Ce sont d’ailleurs ces derniers, le couple Reagan, qui vont faire basculer le rôle du majordome vers celui de personne de confiance en l’invitant à un dîner de « Blancs » dans lequel Cecil, pas à sa place, se sentira mal à l’aise et témoignera de son malaise.
 
 

© Metropolitan FilmExport

Le Majordome, en plus de scénariser avec réussite l’Histoire américaine et la lutte pour l’égalité des droits entre Noirs et Blancs, se déroule en deux temps. D’un côté, la vie à la Maison-Blanche face à ces présidents aux votes utiles, inutiles, aux décisions politiques, aux manies privées parfois drôles. De l’autre, l’histoire intime d’un Américain, Cecil, marié – à la surprenante Oprah Winfrey – et père deux enfants. Le couple traverse en trente ans toutes les crises, sentimentales, parentales, émotionnelles. Leur fils aîné s’engage dans une lutte sans fin pour obtenir autant de droits que les autres, ce malgré sa couleur de peau. Son père, au service des politiques à la peau blanche, le dégoûte. Mais c’est de leur confrontation que le film de Lee Daniels prend tout son sens. Même si le réalisateur s’égare dans les histoires respectives de plusieurs personnages, il parvient néanmoins à faire du Majordome un kaléidoscope d’une durée de trente ans sans mâcher ses mots ni ses images. Des évènements horribles, existants, sont reconstitués afin de donner à voir aux spectateurs l’ambiance agressive de l’époque, qui faisait jadis la Une des journaux – les Black Panthers, mouvement révolutionnaire afro-américain, ont leur place et sont l’objet d’une partie du film.

Le défi de mêler vie politique, vie personnelle et de confronter plusieurs groupes, plusieurs réactions et plusieurs époques, est relevé. Non seulement Lee Daniels s’attaque à un sujet compliqué, le droit des Afro-Américains, mais il le traite sans en faire trop. On pourra cependant lui reprocher une réalisation très lisse, très show à l’américaine… Le film, par moments pédagogique et bien loin de l’univers brutal et sanglant de Paperboy ou des discussions violentes entre Precious et sa mère, est ainsi cordial, propre et sans fioritures à l’image. Le casting a attiré une foule de fans lors de la projection du film au dernier Festival de Deauville… En effet, outre Forest Whitaker, Oprah Winfrey, John Cusack, Robin Williams et Jane Fonda, le réalisateur a offert des rôles à ses amis chanteurs Mariah Carey et Lenny Kravitz. Ce n’était pas nécessaire, dans la mesure où le couple Whitaker/Winfrey, au centre du film, est excellent. Très attachant, celui-ci forme d’ailleurs la colonne vertébrale d’un scénario où la Maison-Blanche et la maison du majordome ne sont que les lieux, le fils aîné et l’enfance les embûches.
 
 


 
© Metropolitan FilmExport
 

Le Majordome est un film du côté du divertissement et de la saga familiale, entre sentiments et évènements politiques. Loin d’être ennuyeux ou naïf, ce long métrage est une belle surprise en cette rentrée cinéma. Avec élégance et finesse, Lee Daniels a su diriger ses acteurs avec brio. Sans doute que ce film ne plaira pas aux bonnes consciences, notamment aux historiens, qui l’accusent de faire du sentimentalisme et de chercher les statuettes dorées. Mais pourtant, Le Majordome a quelque chose de différent, notamment dans sa façon de retracer trente années d’Histoire américaine sans provoquer ni ennui ni lassitude. Surtout, il montre encore une fois que ce réalisateur n’a pas fini de nous étonner en optant à chaque fois pour des histoires vertigineuses. 

Titre original : The Butler

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Durée : 130 mn


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