Il ne faut pas se méprendre sur Le Guerrier silencieux : il ne s’agit pas d’un remake de « Gladiator chez les vikings ». Bien au contraire, le film du réalisateur danois Nicolas Winding Refn (signataire de la Trilogie Pusher et de Bronson) s’avère être une oeuvre intimiste, voire documentaire, s’attardant sur le voyage d’un esclave viking « légèrement » aigri face à la vie et les autres. Le rythme est lent, la narration minimaliste, mais la réalisation prend le spectateur aux tripes. La succession de gros plans sur des visages abimés et crasseux, combinés à des plans larges contemplatifs, depeint un monde barbare, sale et puant, où l’Homme se bat pour survivre. Les protagonistes évoluent à travers une nature sauvage, hostile et sans vie, proche d’un no man’s land où le danger peut surgir de partout. Cette sensation de monde sans teinte est accentuée par un étalonnage froid, désaturé, où l’obscurité et la noirceur prédominent, ainsi qu’une ambiance sonore pesante et prenante. A noter aussi la belle perfomance de l’acteur principal, Mads Mikkelsen (acteur fétiche du réalisateur, vu aussi dans Casino Royal ou Coco Chanel & Igor Stravinsky), qui n’emettra aucun mots ou sons pendant toute la durée du film. Silence complet faisant de son personnage un mystère que l’on admire et craint à la fois.
En plus d’être visuellement riche, le film est aussi un voyage mystique chapitré, où se mêlent fanatisme religieux et croyance païenne. Le héros symbolise une certaine duallité. D’un coté, il tient un rôle messianique, étant censé accompagner et guider le groupe viking vers la Terre sainte afin de participer à la croisade. De l’autre, il est une métaphore de l’Antéchrist : lorsqu’on lui demande d’où il vient, l’enfant, qui parle à sa place, répond qu’il vient des enfers… Au bout de leur chemin, les vikings ne trouveront pas la Terre sainte, mais plutôt Hadès, qui leur réserve une mort atroce.
Certes les longueurs du milieu du film, ainsi que le peu de dialogues peuvent rebuter nombre de spectateurs. Mais Le Guerrier silencieux a le mérite d’être un film courageux, sans concessions commerciales ni mercantilisme, livrant une veritable vision d’auteur et de réalisateur. Ames sensibles s’abstenir, car ce film promet un voyage en enfer.
« La conception du paradis est au fond plus infernale que celle de l’enfer. L’hypothèse d’une félicité parfaite est plus désespérante que celle d’un tourment sans relâche, puisque nous sommes destinés à n’y jamais atteindre », Gustave Flaubert dans Lettre à Louise Colet.
Le Joker