Le génocide rwandais : to show or not to show ?

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S’il fallait réduire le génocide rwandais à une seule image, ce serait certainement celle d’une machette. Pour certains réalisateurs, elle suffit à résumer toute l’horreur du génocide. Les autres sont plus prolixes, au risque de choquer. Montrer ou ne pas montrer, telle est la question. Le génocide rwandais au cinéma. Episode 2.

« Nous savons que tout cela a existé, mais montrer ainsi l’horreur place le spectateur dans une sorte d’hypnose empêchant toute réflexion. Comment avoir du recul en état de choc ? Le public ouagalais du Fespaco quittait la salle en cours de projection, n’en supportant pas les images. Saine réaction ! Il est scandaleux de prendre ainsi le spectateur en otage. " La douleur n’est pas une star ", disait Godard dans ses Histoires de cinéma. À quoi bon montrer l’horreur si c’est pour déboucher sur son simple constat, désespérant et affligeant ? », écrit le critique Olivier Barlet en chroniquant 100 days (2001) de Nick Hughes en 2003, alors que le film était présenté au Festival Panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco).

« Cela », c’est lorsqu’un milicien Interhamwe exécute à la machette une mère tutsie et son nouveau-né sous les yeux horrifiés d’un jeune professeur fraîchement débarqué de Grande-Bretagne, Joe, l’un des héros de Shooting dogs de Michael Caton-Jones. « Cela », ce sont les voisins harcelés de Paul Rusesabagina, le directeur de l’Hôtel des Mille Collines, qui put épargner la mort à quelques uns de ses compatriotes. Don Cheadle lui prête ses traits dans Hotel Rwanda de Terry George. « Cela », ce sont les listes de la mort, comme celles qui conduiront des écoliers tutsis à être brûlés vifs dans 100 days.

« Les documentaires sur le Rwanda ne sont pas vus, et quand ils le sont, ce sont par des personnes qui savent ou ont une idée de ce qui s’est passé au Rwanda. Par conséquent, vous prêchez des convertis et 100 days a été fait pour expliquer ce qui est arrivé au Rwanda à un public qui ne s’intéresse pas au Rwanda », explique en 2002 Nick Hughes pour justifier la forme de son œuvre consacrée au Rwanda. Le propos du premier film sur le génocide rwandais est simple : montrer l’horreur. Nicolas Quentin Hughes, alias Nick Hughes, était présent en avril 1994, au début du génocide, qu’il a couvert en tant que caméraman. Il a d’ailleurs réalisé plusieurs documentaires sur le sujet pour la télévision britannique, la BBC. 100 days est une fiction qui s’inspire de faits réels et d’une expérience de terrain. La même que celle qui aboutira à Shooting Dogs ou au documentaire du français Jean-Christophe Klotz, Kigali, des images contre un massacre.

La violence inutile reprochée à 100 days tient peut-être à sa proximité temporelle avec les événements. Il sort sur les écrans sept ans après le génocide. Aussi bien pour le cinéaste que pour les spectateurs, le génocide fait partie d’un passé récent. Kigali, des images contre un massacre, en salles en 2005, Shooting dogs et Hotel Rwanda, qui sortiront un an plus tard, semblent avoir évité cet écueil. Avec le recul et le temps, mettre en scène l’insoutenable ne paraît plus nécessaire, une simple évocation suffit à planter le décor. Munyurangabo, l’un des derniers films sur le Rwanda, illustre ce temps qui estompe les souvenirs. La violence n’est plus dans le fait génocidaire mais dans ses conséquences. Le héros du film de Lee Isaac Chung veut se venger de celui qui a tué son père en 1994. L’adolescent tutsi, qui n’était alors qu’un enfant, s’est lié d’amitié depuis avec un hutu qui l’emmène dans sa famille, avant de l’aider à accomplir sa vengeance. Une scène renvoie aux massacres perpétués au Rwanda : Munyurangabo est dans la cour de son ami et tient une machette. D’où il est, le père de l’ami qui s’approche ne peut le voir. La caméra revient alors sur le jeune homme qui semble retenir le geste fatal qui a plongé son pays dans le chaos pendant trois mois.

Pourquoi le déluge de violence à l’écran choque-t-il ? En quittant la salle où était projeté 100 days, les spectateurs ouagalais ont refusé de s’identifier aussi bien aux bourreaux qu’aux victimes dans un contexte – le dispositif de la salle obscure – qui favorise pourtant l’identification. L’intérêt pour un spectateur de suivre un film ou de lire un roman réside dans la faculté du récit qui lui est soumis à faire écho en lui et à étancher sa curiosité. Refuser de poursuivre l’expérience visuelle signifie ne pas y adhérer. Peut-être parce que quelques images suffisent à tout dire. Ou peut-être parce que paradoxalement, si le cinéma est un univers d’images, ce sont moins elles que leur portée symbolique qui frappe le spectateur. Comme si les yeux étaient directement liés au cœur. L’émotion de Joe, l’impuissance d’un gérant d’hôtel sont plus de nature à favoriser l’empathie, et par conséquent l’identification, que la simple retranscription de la réalité. Emporté par l’intrigue, le spectateur peut alors se donner le temps de la réflexion et se poser des questions. Qu’aurais-je fait si j’y avais été ? Ou Qu’aurais-je fait pour empêcher « cela » ?

Dans le cas rwandais, un plan de dix secondes d’une machette équivaut à un interminable film d’horreur. De même que la danse macabre d’hommes armés de machettes et de gourdins contribue à donner au spectateur des sueurs froides. Cette image constitue presque une signature filmique du génocide. Prendre le risque de montrer l’horreur de façon subtile ou crue suppose que l’on considère la démarche comme susceptible de provoquer un changement. Une espérance souvent vaine, sachant que si l’humanité fonctionnait sur ce principe, les films sur l’Holocauste auraient  peut-être  pu empêcher le génocide rwandais, les images diffusées par les médias en avril 1994 et plus tôt, permis d’épargner quelques Rwandais, comme le souligne Jean-Christophe Klotz dans son documentaire. Choquantes, violentes, insupportables ou pédagogiques, les images ont la valeur que l’on veut bien leur donner. Au cinéma comme ailleurs.

À lire ici, le premier épisode.



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