Antoine Barraud part du postulat qu’il est très difficile de filmer la peinture, et se souvient de la longue lettre qu’il avait écrite à Bertrand Bonello pour lui dire combien il avait aimé, en 2008, son film De la guerre. A noter qu’Antoine Barraud avait déjà filmé le réalisateur japonais Kohei Oguri pour La forêt des songes (2010) et Kenneth Anger dans un court métrage, River of Anger (2008). Hésitant entre le documentaire et la fiction, il finira au cours du tournage par basculer dans la fiction en permettant à Bertrand Bonello de dévoiler ses talents d’acteur, et aussi de réaliser pour le film ses « films fantômes » – tels que La mort de Laurie Markovich, Madeleine d’entre les morts ou American Music – qui avaient été évoqués au cours de l’hommage que le centre Pompidou lui a récemment rendu.

Il ne faut pas s’y méprendre, Le Dos rouge n’est pas un énième film référentiel sur l’art pictural et les musées – même s’il nous permet de découvrir plusieurs tableaux plus ou moins connus, avec le comédien qui souvent improvise devant la toile, comme cette belle remarque que le réalisateur certifie être de Jeanne Balibar herself devant une toile de Miro : « Le Catalan international me laisse assez de marbre ». Ayant constaté que les gens au musée passent en moyenne 20 secondes devant chaque tableau, et ayant surmonté sa phobie des beaux quartiers puisqu’il habite la Goutte d’Or et sa méfiance devant la couleur blanche de la capitale, Antoine Barraud est entré dans les musées, notamment le magnifique atelier de Gustave Moreau dans le IXe arrondissement, mais nous fait voir aussi des toiles plein cadre, ou des détails de Chasseriau ou Caravage, pour terminer sur l’autoportrait intrigant et horrible de Leon Spilliaert qui conclut ce film sur la recherche du monstre.

L’art sera monstrueux ou ne sera pas : telle semble être la devise du film, qui propose des énigmes mais se garde de donner la moindre clé. Tant mieux, on ne saura jamais qui est cette mère off dévorante qui raconte la vie du personnage, ni d’où vient cette énorme tache rouge qui dévore le dos de Bonello « comme si un monstre s’était posé sur lui pendant la nuit et avait laissé une trace », et donne son titre au film. Tout comme on ne saura jamais pourquoi donner un rôle dans Prométhée enchaîné d’Eschyle à la femme du personnage, comme s’il s’agissait de périr dans les flammes du savoir. Tout ceci a un côté bien ésotérique, voire alchimistique, mais bienvenu et jouissif, servi par un casting de femmes sublimes : Jeanne Balibar, Géraldine Pailhas, Joana Preiss, Nathalie Boutefeu (la « Gena Rowlands » d’Antoine Barraud, désopilante en costume de souris !), Valérie Dréville, Marta Hoskins, Isild Le Besco et la voix off de Charlotte Rampling. « J’ai l’impression, déclare le réalisateur, d’avoir toujours voulu faire du cinéma pour filmer les femmes. » Et les œuvres d’art pourrait-on ajouter, ainsi qu’un cinéaste de talent. Eh bien c’est fait, et bien fait !