Le Dernier face à face est un excellent western de Sergio Sollima (Colorado, Saludos Hombre) qui raconte l’histoire de deux hommes que tout oppose mais que le destin va réunir. Le professeur Brad Fletcher, un nordiste, s’installe en raison d’une maladie tuberculeuse dans l’air chaud du sud des Etats-Unis, au Texas. Alors qu’il se repose paisiblement, il va être pris en otage par l’un des pires truands de la région : Solomon « Beauregard » Bennet, ancien membre d’une troupe de pillards, la « Horde sauvage ». Mais ce dernier, blessé grièvement, ne va devoir son salut qu’au professeur. Une fois rétabli, Beauregard décide de retrouver les anciens membres de la Horde sauvage afin de reformer le groupe de brigands… et contre toute attente, le professeur Brad Fletcher décide de se joindre à eux…
Le Dernier face à face (ou Il était une fois l’Arizona) est un western spaghetti trop méconnu du grand public. Magnifiquement réalisé et accompagné d’une émouvante musique du maestro Ennio Morricone, on retrouve tous les ingrédients du genre : fusillades et duels de pistoleros, personnages sales, mal rasés et puants, aussi pourris les uns que les autres…
La grande qualité du film reste son histoire reposant sur la relation et l’évolution des deux héros au cours de leurs aventures. Le message de fond aborde la question philosophique sur laquelle se sont penchés de nombreux penseurs (Rousseau, Kant, Hobbes, etc.) au fil des siècles : l’homme est-il bon ou mauvais par nature ? Ou l’environnement dans lequel il évolue le détermine-t-il ?
Pour y répondre les deux auteurs, Sergio Sollima et Sergio Donati, vont faire se confronter deux héros aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, Brad Fletcher (Gian Maria Volonte, le méchant dans Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plus), professeur humaniste, réfléchi, érudit, amoureux des livres et des êtres humains. Fragile et peu sûr de lui, cet homme de savoir est le genre de personnage qui subit les choses. C’est d’ailleurs ce que lui dit le directeur de l’établissement scolaire au début du film : « Vous avez toujours subi les événements, il faut les provoquer… ». Et la seule fois où il semble forcer le destin, il se retrouve dans une histoire qui va le dépasser, au côté d’un homme qui est son strict opposé : «Beauregard» (Tomas Milian,On m’appelle Providence, Le Blanc le jaune et le noir). Au premier abord, il est tout le contraire du professeur, instinctif, sans foi ni loi, il écrit sa propre destinée… C’est un homme qui vit à l’état de nature (au sens philosophique du terme), c’est-à-dire régi par la loi du plus fort, guidé par un instinct de survie inébranlable, tel un animal. S’il doit tuer ou voler pour survivre, il n’hésitera pas une seconde.
Loin d’être manichéenne, la relation entre les deux hommes s’avère beaucoup plus subtile et complexe. Au fur et à mesure de l’intrigue, ces deux personnages vont déteindre l’un sur l’autre, éprouvant chacun une fascination cachée pour l’autre.
La transformation de Brad Fletcher intervient après qu’il ait tuer un homme pour sauver Beauregard, alors qu’il n’avait jamais tenu un pistolet jusque-là. On a là tout le paradoxe d’un personnage profondément humaniste et qui sauve la vie d’un homme en enlevant celle d’un autre. C’est à partir de ce moment que le personnage bascule du « coté obscur de la force ». Et lui qui croyait tout connaître de la vie grâce aux livres, va se rendre compte en observant les familles des brigands de la Horde sauvage, que ces gens, certes modestes et rustres, considèrés par certains comme des « épaves », sont bien plus humains que lui. Il dira d’eux : « Je n’ai jamais vu de gens plus réels, ni plus libres, plus vivants, ni plus heureux ». Mais le professeur va se laisser corrompre par le pouvoir de la violence. Cumulée à son intelligence, il devient la pire espèce qui soit, calculateur, froid, devenant plus cruel que les truands eux-mêmes, violent et torturant sans remords. Paradoxalement, c’est en le voyant agir ainsi que Solomon Beauregard va se mettre à changer. Le professeur Fletcher devient un miroir pour Beauregard qui comprend alors ce qu’il fut toutes ces années durant. Pris de remords – c’est finalement lui qui a crée ce monstre bien humain – et animé d’un sentiment de justice encore inconnu, Beauregard abat le professeur qui voulait tuer l’homme qui venait de les sauver.
Fin tragique pour un homme auquel on a tendance à s’identifier au début du film. Et c’est en cela que Le Dernier face à face tire toute sa beauté et son originalité avec une scène d’exposition, sublime, qui aurait pu être la scène finale du film. On y voit Brad Fletcher, faire son dernier cours en parlant des êtres humains et de leur existence éphémère, de l’importance de leur choix dans le cours de l’Histoire. Plus qu’un simple western, Le Dernier face à face dépeint parfaitement la complexité de l’âme humaine. Quant à la question posée par le film, « l’homme est-il bon ou mauvais de nature ? », elle peut trouver une probable réponse dans les paroles prononcées par le professeur au début du film : « Il n’existe pas d’homme irremplaçable…Tout être humain a le droit de choisir le rôle qu’il souhaite jouer dans l’Histoire… »