Ressortie du Décalogue de Krzysztof Kieslowski

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Profitons de la ressortie en salles en version restaurée des dix films formant « Le Décalogue », pour revenir brièvement sur la carrière du réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski.

Né à Varsovie le 27 juin 1941, Krzysztof Kieslowski étudie le cinéma à la célèbre École nationale de cinéma de Lodz, qui accueilla également en son sein Roman Polanski, Jerzy Skolimowski ou encore Andrzej Wajda. Après l’obtention de son diplôme en 1969, il commence à écrire et réaliser des documentaires, sous forme de courts et de moyens métrages traitant dans leur grande majorité de questions sociales, économiques et politiques. Kieslowski souhaite avant tout montrer ce que l’on ne peut pas ou ce que l’on ne veut pas voir à l’époque en Pologne : « Ce qui m’intéressait en Pologne pendant les années 1970, c’était le monde non représenté. Je voulais décrire ce monde. Vous ne savez pas ce que c’est en France de vivre dans un monde sans représentation » (1). Entre autres : l’horreur de la Seconde Guerre mondiale à travers le récit de vétérans qui y ont perdu la vue dans J’étais soldat (1971), une journée dans une entreprise de pompes funèbres dans Le Refrain (1972), le quotidien des patients d’un sanatorium dans La Radiographie (1973) ou encore sept portraits de danseuses de ballet, du petit rat à l’étoile dans Sept femmes d’âge différent (1978). Quant à La Paix (1976), son film sur les grèves déclenchées par la faim, il est tout bonnement interdit de diffusion. Parallèlement aux formats courts, il réalise des longs métrages pour la télévision et le cinéma, dans lesquels on peut retrouver son intérêt pour le travail documentaire. Ces films traiteront tous de la question de la liberté de l’homme et de tous les choix possibles qu’il rencontre dans sa vie. Comment utiliser cette liberté ? Quelles conséquences entraîneront ces choix ? Il y a pour le réalisateur « une correspondance entre ce que les hommes sont, font et ce qui leur arrive » (2).

Dans La Cicatrice (1976), un directeur veut construire une grosse usine de produits chimiques dans une petite ville, persuadé de pouvoir construire un endroit où les gens vivraient heureux et sans conflits. Mais il se heurte à l’opposition des habitants. Fera-t-il des compromis pour arriver à son but ? Un autre dilemme est mis en scène dans Le Personnel (1975). Romek travaille comme costumier à l’opéra, où son métier de tailleur devient à ses yeux un art. Témoin d’une altercation entre un soliste et un employé auxiliaire, il est sommé de témoigner pour les départager. Rester juste et retarder son avancement en défendant l’employé ou céder aux pressions et de fait accéder à une carrière rapide en prenant partie pour le soliste ? D’autres fois, les personnages doivent choisir entre deux bonheurs, comme dans L’Amateur (1979). Filip vit heureux avec sa femme et sa fille jusqu’à ce qu’il fasse l’acquisition d’une caméra. Lauréat d’un prix dans un petit festival pour son film sur les cérémonies entourant le 25e anniversaire de son entreprise, il se retrouve rapidement pris d’une passion dévorante pour le cinéma, au point que sa femme décide de le quitter. Ainsi que l’explique Tadeusz Sobolewski : « Les personnages de ses documentaires et de ses fictions ne combattent pas le système […] ils veulent juste faire leur travail. Cette envie […] se heurte à un système qui n’apprécie pas cela. Soit ils se montrent capables d’aller au bout de leurs passions, soit ils sont détruits par cette démarche » (3).

 

Le Décalogue 1 : Un seul Dieu tu adoreras

 

En 1983, Krzysztof Piesiewicz, avocat et scénariste, propose à Kieslowski d’adapter les dix commandements après avoir vu un polyptyque du XVe siècle divisé en dix scènes peintes de la vie quotidienne à la Galerie nationale de Varsovie. Le réalisateur hésite : « Avions-nous le droit de traiter d’un sujet tellement universel ? […] Ces craintes sont faciles à comprendre dans un pays catholique comme la Pologne » (4). Ce ne sera finalement pas une adaptation mais une série de dix épisodes, d’une heure chacun, d’après le Décalogue, à destination de la télévision polonaise. Dix épisodes sur les habitants d’un immeuble de Varsovie confrontés à des choix moraux majeurs (chaque précepte divin devenant le lieu d’une réflexion sur la condition humaine, le réalisateur voulant « filmer les âmes » [5]), dont la plupart des scènes s’inspirent de situations vécues par le réalisateur et son scénariste. Kieslowski avait d’abord voulu confier chaque téléfilm à un réalisateur différent mais tourne finalement les dix épisodes en 21 mois avec un directeur de la photographie à chaque fois différent – hormis pour les épisodes 3 et 9, dirigés par Piotr Sobocinski. Le réalisateur parvient même à convaincre des acteurs renommés en Pologne de rejoindre le projet. En 1987, le producteur, Krzysztof Zanussi propose les droits aux télévisions italienne, allemande et française, qui refusent car le cinéaste est jugé trop « local ».

 

Tu ne tueras point est présenté dans une version cinéma au Festival de Cannes l’année suivante, en 1988 – Brève histoire d’amour sera le seul autre commandement à être adapté en version longue. C’est un choc pour les festivaliers. Plusieurs d’entre eux quittent la salle et crient au scandale. Mais c’est le début de la reconnaissance mondiale pour le réalisateur qui déclare : « Si je devais donner le message essentiel du Décalogue, ce serait : vivez avec égards, regardez autour de vous, prenez garde à ce que vos actions ne causent pas de préjudices aux autres, ne les blessez pas ou ne leur causez pas de peine » (6). La première mondiale de la série complète se déroule au Festival du Film de Venise en septembre 1989. Et en février 1990, la série est diffusée à la télévision polonaise, réunissant 12 à 15 millions de spectateurs, soit plus d’un tiers de la population. Si Le Décalogue est aujourd’hui considéré comme difficile, sophistiqué, il a à l’époque été diffusé à une heure de grande écoute. Ses films suivants, La Double Vie de Véronique (1991) et Trois couleurs : Bleu / Blanc / Rouge (1993-1994), seront des coproductions internationales, majoritairement françaises.

Krzysztof Kieslowski meurt le 13 mars 1996.

La ressortie du Décalogue s’accompagne d’un cycle de conférences organisé par Philosophie Magazine, au MK2 Odéon, entre le 28 juin et le 10 juillet 2016.

(1) Vincent Amiel, Kieslowski, Payot et Rivages, 1995, p.68.
(2) Gil Pressnitzer, Krzystof Kieslowski : Arrêt sur image, Esprits nomades, date de dernière mise à jour : 11 novembre 2008. [Consulté le 27 juin 2016]
(3) Marek Haltof, The Cinema of Krzysztof Kieślowski: Variations on Destiny and Chance, Wallflower Press, 2004. p.72. [Nous traduisons]
(4) Dossier de presse, MK2 et Diaphana Distribution, p.12.
(5) Cécile Mury, Sur Arte, Le Décalogue de Kieslowski tu regarderas, Télérama, 15 mars 2008. [Consulté le 27 juin 2016]
(6) Dossier de presse, MK2 et Diaphana Distribution, p.5.

À lire : Le Décalogue, par Antoine Benderitter, au sein du Coin du cinéphile consacré au cinéaste.

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