Le cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia (Combo Blu Ray/DVD/ Livre, chez Artus Films)

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Colegas, El Pico 1 et 2; trois épopées sulfureuses dans l’Espagne post-franquiste.

Vivre vite Carlos Saura (1981) – surement grâce à la renommée de son réalisateur établie par ailleurs – est le seul spécimen du cinéma Quinqui à avoir été proposé au public français durant les heures de gloire de ce mouvement cinématographique ibérique, qui s’étend entre le mitan des années soixante-dix et la fin de la décennie suivante. Désignant au départ les vendeurs de ferraille, les gitans, le terme de Quinqui a fini par coller aux basques des voyous des banlieues, prêts à tout pour obtenir leur quart d’heure de gloire et profiter des plaisirs de l’argent facile. Pour un cinéma d’exploitation  espagnol  gourmand de sexe et de violence, ces personnages transgressifs hauts en couleur furent la plus belle des aubaines pour attirer les foules dans les salles. Dans Cine Quinqui : Les  loups sont dans la rue, livre qui accompagne les DVD/ Blu Rays du coffret, David Didelot, développe avec précision et fougue les éléments brièvement résumés ici. Il aborde également la carrière d’Eloy De La Iglesia, qui grâce à une approche que l’on peut qualifier sans excès d’auteuriste a su donner toutes ses lettres de noblesse à un genre oublié et/ou sous-estimé. Les trois titres du coffret édité par Artus Films en sont de vibrants exemples.

 

Voies sans issue

Colegas (1982), El Pico (1983),  El Pico 2 (1984) conduisent à la même impasse pour ses antihéros. Une jeunesse destinée à commercer : soit du chocolat (entendre de la drogue), soit ses charmes – les hommes ne se font pas prier pour quelques pesetas -, et le pire encore, pour ses antisystèmes et pourfendeurs du franquisme…. serait de devoir vendre son âme au diable en endossant l’uniforme des forces de l’ordre. El Pico désigne aussi bien la seringue qu’on s’injecte pour quelques minutes d’extase, que le chapeau que les peu estimés membres  de La Guardia Civil gardent fièrement vissé sur la tête. À la fin d’El Pico, Paco et son commandant de père décident de remettre les comptes à zéro en jetant respectivement à la mer chapeau et  pistolet. Eloy de La Iglesia manie la métaphore avec malice pour renvoyer dos à dos le vice et la prétendue vertu : les échanges ne manquent pas d’ironie et de jeux de mots, la mise en scène se nourrit de raccords par analogie et d’arrière-plans souvent chargés de symboles. Étrangement, la religion occupe peu de place dans ces trois critiques sociales et politiques, mais les autres garants de la morale ne sont pas épargnés.

Surtout dans Colegas, où la jeunesse désœuvrée prend pour aire de jeu les terrains vagues et les édifices en ruine, la représentation du monde selon de La Iglesia lorgne du côté du néoréalisme italien, et de sa petite sœur la comédie populaire et satirique. Mais le  constat dressé par l’auteur se révèle beaucoup plus cruel pour ses personnages. À l’instar des polars les plus sombres, tout échappatoire n’est qu’une éphémère illusion pour les prostitués, dealers, indics, braqueurs… Aucun personnage n’échappe à sa condition : Paco a beau quitter Bilbao pour la capitale dans El Pico 2, la violence et la drogue le rattrapent, et le père redevient plus zélé qu’un soldat franquiste. Dans Colegas, le trio composé des deux amis, Rulio  et Josè et de Rosario, sœur du premier nommé et petite amie du second, tournent inexorablement en rond vers un final forcement tragique. Autant à son aise dans la comédie, l’action ou la tragédie, Eloy de La Iglesia échappe à toute classification.

La chair et le sang

Par pur esprit de provocation ou par souci d’un réalisme sans filtre, les corps nous sont livrés brut de décoffrage. On se dénude sans se faire prier, autant les hommes que les femmes, la moindre pulsion se doit d’être assouvie dans l’instant. Les ébats sont filmés avec une proximité et une sonorité dignes du cinéma bis. Dans Colegas : scène d’onanisme nocturne avec les trois frères, cabines de sauna pour les plaisirs homosexuels, tandis que dans El Pico 2 le triolisme s’invite sans gêne. La jeune génération défie la bienséance des anciens, dans Colegas, Rosario hurle à sa mère tout le plaisir éprouvée dans sa relation de couple. Rompre avec le franquisme c’est balayer tout le poids qui pesait sur les esprits et les corps. Mais ses corps sont soumis à rude épreuve chez cette jeunesse qui préfère jouir de l’instant, de sa liberté, plutôt que de se momifier comme leurs parents. On commence à s’en mettre plein les narines puis c’est grâce aux piqures que l’on monte au septième ciel -on ne compte pas les  gros plans sur les épidermes percés ou tuméfiés. Le corps est une marchandise ou plus précisément un contenant comme un autre, dans Colegas, le ventre de Rosario abrite un futur achat d’enfant, et les estomacs des deux amis permettent d’acheminer tranquillement de la drogue. La violence est un langage expéditif, les coups de poings volent, les armes tranchantes sont faciles à trouver, à ce titre les affrontements  carcéraux dans El Pico 2 sont superbement chorégraphiés.

Le réalisme de cette jeunesse abîmée doit beaucoup aux « acteurs-non acteurs » qui apportent avec eux les stigmates de leurs vies dissolues. José Luis Manzano – Josè dans Colegas et Paco dans les deux El Pico –  a été sorti d’un mauvais chemin de vie par le réalisateur. Et El Piri – dans Colegas et El Pico 2 – joue son propre rôle, celui d’un célèbre quinqui qui défia les autorités policières de son pays durant quelques années. Cinéma vérité, cinéma spectaculaire, touchant et drôle, le cinéma d’Eloy de La Iglesia est un condensé d’interdits et d’ heureuses surprises.

Colegas/ El Pico/ El Pico 2 sont disponibles dans le très beau coffret Le cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia, édité par Artus Films.

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