Un enfant qui rencontre une créature venue d’ailleurs, deux solitaires qui s’adoptent et s’épaulent mutuellement face à l’adversité : il est aisé de comprendre ce qui a pu séduire le réalisateur et Mélissa Mathison, celle-là même qui avait écrit le scénario d’E.T. (1982). En 2016, la motion capture a remplacé la marionnette, mais les aventures qui auraient pu, grâce au numérique, se démultiplier, tendent en fait à se raréfier. Si ce n’est le lent apprivoisement entre la petite fille et son très grand kidnappeur, il ne se passe pour ainsi dire pas grand-chose ; même ce qui pourrait être considéré comme le climax du film – la lutte contre les méchants géants – n’est pas traité comme un morceau de bravoure comme pouvait l’être la poursuite à moto dans Les Aventures de Tintin (2011). Le scénario ne s’intéresse à l’évidence pas aux rebondissements, mais plutôt aux relations entre les personnages, basées avant tout sur le décalage et le renversement. Le monde des géants est lui-même à l’envers, Sophie y atterrit la tête en bas, et à l’image de son monde le bon gros géant ne cesse de tout mettre sens dessus dessous – à commencer par le langage (le Gobblefunk), qui remplace un courant d’air par un coude en l’air et un menteur par un bobardeur.
Que ce soit dans son propre univers ou dans le nôtre, il change la perception que l’on peut avoir des objets du quotidien en les détournant de leur utilisation normale, les rendant soudain plus étranges, donc potentiellement plus drôles. Sa maison, bric-à-brac salvateur face à l’ordre de l’orphelinat, est le fantasme de n’importe quel enfant : une baignoire pour jardinière, un bateau comme lit et mille et un leviers, manivelles et poulies qui ouvrent passages, portes et ponts dans une réaction en chaîne digne d’une machine de Rube Goldberg. En même temps qu’il prouve l’existence d’un monde caché à l’intérieur du nôtre, sa possible présence suffit à enchanter des lieux qui ne prêtent pas à la rêverie. Et si cet arbre était en réalité un géant abrité sous un parapluie ? Et si ce qui fait plier ces cyprès n’était pas seulement le vent ? Attrapeur et souffleur de rêves, son occupation consiste à émerveiller les enfants, et il ne serait d’ailleurs peut-être pas tiré par les cheveux d’y voir une analogie avec le métier de réalisateur…
Tout cela est bien joli, mais rien ne transcende ce constat, quitte à frôler une certaine mièvrerie. Les frères du bon gros géant sont des grosses brutes (le plus féroce ressemble plus à un pilier de rugby qu’à un croque-mitaine) dont la cruauté, malgré leurs noms évocateurs (Buveur de Sang, Avaleur de Chaîr fraîche) se résume à bousculer leur petit frère et à se moquer de lui. Même la découverte de la chambre du petit garçon, dernier meilleur ami du géant mangé par ses frères, reste très anecdotique – comme si cet aspect dramatique ne devait pas faire écran à la seule vraie souffrance : la solitude des deux personnages principaux. Si la motion capture permet tout de même à Mark Rylance de doter son avatar d’une réelle sensibilité, le numérique se révèle à plusieurs reprises bien moins convaincant, à l’image de l’arbre aux rêves. Cette fois-ci, le fameux gros plan spielbergien sur le visage émerveillé du héros ne renvoie plus qu’à lui-même.