L’Affaire Rachel Singer (The Debt)

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Un pâle thriller d’espionnage qui ne fait que survoler ses possibilités sans jamais s’en emparer.

Remake d’un film israélien au titre original identique (La Dette, Assaf Bernstein, 2007), resté inédit en France, L’Affaire Rachel Singer s’intéresse aux tourments de trois agents du Mossad, suite à une mission menée à Berlin-Est en 1965 ayant eu pour but la capture d’un criminel nazi, ancien médecin du camp de Birkenau ayant pratiqué des expériences qu’on imagine répugnantes sur des déportés. Une mission qui avait officiellement conduit à la mort de l’ancien bourreau. Mais ces trois-là pourraient bien ne pas être les héros nationaux célébrés trente années durant, et dissimuler un secret douloureux.

Voilà un thriller qui, sous couvert d’une solennité lui permettant de déployer, en explorant deux époques différentes, tout un ensemble de thèmes à majuscule (le Mal, la Culpabilité, la Rédemption entre autres…), fait preuve d’un réel manque de vigueur dans l’écriture et d’une absence totale d’originalité dans la mise en scène. Ouvrant pourtant des voies qui auraient mérité un traitement plus sérieux et approfondi, le film se contente de les survoler comme on fait un inventaire, avec méthode mais sans passion. Ce côté très paresseux est particulièrement visible dans les scènes de préparation des différentes missions (celle menée par le trio en 1965, celle accomplie en solo par Helen Mirren en 1995). Le manque de détails concrets qui auraient pu donner plus de corps et de cohérence à l’ensemble semble symptomatique d’un désintérêt général pour ce qui est raconté. Il en découle un rythme globalement uniforme et très lent. L’approche psychologique ici privilégiée par le cinéaste (John Madden, au parcours finalement plutôt anecdotique, entre épisodes de séries TV dans les années 90, le succès de Shakespeare in love et quelques titres oubliables) et ses scénaristes aurait exigé pour être vraiment passionnante une certaine finesse dans l’analyse des sentiments ainsi qu’une construction bien plus nuancée des caractères. La période moderne est ainsi totalement plombée par le côté très monolithique (pour ne pas dire caricatural) des personnages, dont les traits excessivement appuyés viennent expliciter l’évidence d’un basculement survenu lors de la mission à Berlin-Est dont on avait compris les modalités bien avant sa révélation.

Tout n’est pourtant pas à oublier dans cette Affaire, qui se souvient malgré tout – à de trop rares occasions néanmoins – qu’elle est œuvre de cinéma. Si l’ensemble fonctionne plutôt mal, les passages d’une époque à l’autre se faisant sentir de manière très laborieuse, le tout baignant dans un psychologisme manquant sérieusement de nuances, le film a pour lui quelques moments plutôt réussis. Certaines scènes se déroulant à Berlin-Est parviennent ainsi à installer une tension faisant parfaitement ressentir l’horreur de la rencontre avec l’ancien nazi. Celui-ci devenu un paisible gynécologue exerçant à l’hôpital public de RDA, c’est par l’intermédiaire de consultations que les trois agents – Rachel Singer en première ligne – l’identifient puis organisent son rapt. Ces scènes participent de la construction d’un personnage plutôt réussi (Vogel, le chirurgien) porté par un acteur formidable (Jesper Christensen), monstre dont le masque d’humanité ne s’effrite jamais. Le huis-clos suivant la capture est malheureusement plutôt prévisible. Conduit sans la subtilité nécessaire à l’exercice, il juxtapose les scènes dans lesquelles chacun des trois agents laisse malgré lui entrevoir des faiblesses contrastant avec la force du prisonnier qui semble grandir après chaque plan. Cette ébauche pleine de promesses non tenues est à l’image des personnages interprétés par Sam Worthington et Jessica Chastain, très bons eux aussi en visages de l’innocence pris au moment du basculement. A peine esquissés, pas suffisamment creusés, ils n’offrent que de quoi nourrir les regrets d’un autre film, celui qu’on pourra toujours essayer de se faire soi-même. C’est déjà mieux que rien.
 

Titre original : The Debt

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Durée : 120 mn


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