Le titre du film est une phrase extraite d’une des lettres réellement écrites par le tueur. L’expression "viser le cœur" constitue aussi bien une terrifiante menace qu’un indice sur la confusion mentale du personnage, dont l’incapacité à aimer ne semble trouver un exutoire, radical et vertigineux, que dans ces assassinats de sang-froid, qui d’ailleurs en coûtent manifestement au jeune homme, comme s’il ressentait la douleur de ses victimes et était tiraillé par des pulsions contradictoires. Finalement arrêté, le gendarme assassin est reconnu irresponsable ; les experts diagnostiquent une forme de schizophrénie. Le film tente, lui, de s’en garder, là où d’autres cinéastes maniéristes ou sensationnalistes se seraient engouffrés dans la brèche. Refusant tout délire subjectiviste, le film est remarquable par sa capacité à tenir de bout en bout sa ligne objective, factuelle, quitte à présenter les oripeaux un peu froids, voire glauques, d’une chronique sociale au microscope. Le regard est clinique, la violence sèche, les scènes s’enchâssent les unes dans les autres avec une platitude et une linéarité atténuant toute dramatisation, et aspirant manifestement à l’épure d’un certain cinéma policier français des années 1970, celui d’Alain Corneau, voire de Jean-Pierre Melville. Symptôme de cette ambition, la mise en scène sans afféteries travaille le cadrage des plans, le montage de l’image et du son, avec une précision qui captive, et ce dès la première scène, plan-séquence en vue subjective où la filature d’une jeune fille en vélo se conclut par sa tentative de meurtre. La réussite de cette mise en place aussi réaliste que cauchemardesque tient également à la façon de filmer le décor – une banale banlieue rendue presque fantasmagorique par ses éclairages ocrés, ses plages de ténèbres, la vacuité de ses routes et l’alignement sépulcral de ses pavillons endormis.

Malheureusement, le film trébuche rapidement sur ce qui aurait dû être sa pierre angulaire : l’incarnation du gendarme fou. Car plus encore que le montage alterné entre traque policière et errance meurtrière impliquant toutes deux le jeune tueur, c’est la vie quotidienne et intime de celui-ci qui constitue la trame de fond du film, son cœur battant. Or, Guillaume Canet interprète un personnage qui est censé avoir presque vingt ans de moins que lui, d’où d’emblée, chez le spectateur, une perplexité que le film ne dissipera jamais complétement. De plus, si sa relation assez touchante avec la jeune Sophie (Ana Girardot) sauve en partie la mise, la candeur et le désarroi presque forcés qu’on peut lire sur le visage de l’acteur ne compensent pas la vacuité qui semble sourdre de ce personnage incompréhensible. Cette neutralité est peut-être un choix délibéré, mais dans ce cas malheureux, car le film en devient, à l’image de son acteur principal, aussi impénétrable à l’empathie qu’à la haine, et dissout toute fascination dans son refus conjoint d’une réelle introspection aussi bien que de spectaculaire. La stricte juxtaposition des horreurs commises avec la tranquilité de lieux et d’existences banals ne suffit pas à susciter le vertige ou le trouble qu’on était en droit d’attendre. Rien ne fait prise et le spectateur en arrive même – ce qui est dramatique – à abdiquer tout questionnement à l’égard de faits pourtant réels et tragiques, si ce n’est celui-ci : à quoi bon avoir fait ce film, si ce n’est pour donner à Guillaume Canet l’occasion (ratée) d’une performance ?
Bref, dans la mesure où l’opacité cultivée par l’acteur, au lieu d’ouvrir sur des abîmes, semble trop ostensiblement travaillée pour ne pas sonner faux, La Prochaine fois je viserai le cœur n’est presque jamais à la hauteur du bouleversant fait divers qui l’a inspiré et laisse l’impression d’un film ectoplasmique – coquille vide moins abyssale de mystères que clinquante de vacuité.