La Lune de Jupiter

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L’idée est casse-gueule et l’exécution, très imparfaite : « La Lune de Jupiter » n’en reste pas moins un délire débridé, décomplexé et à la naïveté bouleversante.

Présenté sans grand enthousiasme à Cannes, La Lune de Jupiter n’a, et c’est peu de le dire, pas fait grand bruit. Pourtant, ce film hybride, véritable numéro d’équilibriste mené sur la ligne de plusieurs genres, plusieurs univers, et plusieurs aspirations qui se mêlent dans un melting-pot improbable, est un petit bijou qui représente bien les paradoxes et les contradictions de notre ère. Kornel Mundruczo, que l’on connaît pour être un grand habitudé de Cannes (ses quatres derniers films étaient tous présents sur la croisette : le drame musical Johanna, la tragédie d’inspiration grecque Delta (2008), mais aussi Tender Son (2010) et White God (2014), qui avait remporté le prix du Jury à Un Certain Regard), en profite pour charger la Hongrie contemporaine et ultra-conservatrice d’Orban.
 


Fusion bis

Un jeune migrant syrien, du nom d’Aryan, tente de traverser la frontière Hongroise avec son père lorsque ceux-ci sont attaqués par les forces armées du pays hôte. Aryan perd la trace de son père et se fait tirer dessus. Après avoir mordu la poussière, celui-ci s’envole miraculeusement et se met à léviter dans les airs, avant de retomber brusquement : un ange est né. À Budapest, un médecin peu scrupuleux du nom de Gabor Stern tente de rembourser ses dettes de manière peu conventionnelle. Lors de son arrivée dans un camp de réfugié, où il occupe un poste de médecin, il découvre le fabuleux don d’Aryan et décide de le prendre sous son aile et l’aide à s’évader du camp. Son idée derrière ce sauvetage d’une humanité surprenante ? Exploiter les talents miraculeux d’Aryan pour soutirer de l’argent à de riches illuminés.

Pitch improbable ? Le film l’est encore plus ! Dans un chaos perturbant et parfois saturé, celui-ci ne cesse de jongler entre les genres : film de super-héros volontairement réaliste, film d’ange et de miracles aux connotations religieuses, et film à charge sociale très politique. Quelque part entre Chronicle (2012), Les Fils de l’Homme (2006) ou Les Ailes du désir (1987), Mundruczo y ajoute même un aspect policier plongeant par moment dans le bis. La Lune de Jupiter est un film de métissage qui prône, dans sa forme spectaculaire (tout en drônes et en plans séquences à la courte focale poisseuse) comme dans ses thématiques multiples, un mélange des cultures raccord avec la vision exégétique de Muncruczo, pour qui la crise des migrants n’est, selon lui, pas une crise, mais plutôt un signe à interpréter.
 

Poétique des frontières

Cette vision très utopiste, parfois chimérique ou carrément naïve, de la crise actuelle est bouleversante quand on comprend – assez vite et sans grande finesse, certes – que cette histoire de migrant qui lévite veut, avant tout, tenter de nous pousser à nous libérer de l’horizontalité des frontières qui nous étouffe. Trop terre à terre, les pieds scotchés aux sols sur nos acquis et notre conservatisme parfois réac’, nous aurions oublié de lever les yeux et cessé de croire aux miracles qui nous entourent. Le personnage du Docteur Stern, au départ cupide puis, petit à petit, captivé par l’aspect prodigieux des pouvoirs angéliques d’Aryan, l’illustre. Alors soit. Dis comme cela, le propos semble assez bateau et pourrait même paraître un peu trop songe-creux et idéaliste pour certain. Mais c’est exactement ce que veux pointer du doigt Mondruczo : il faut ré-apprendre à lâcher prise.

La Lune de Jupiter est, en cela, à l’opposé des lourdeurs cyniques assénées par Haneke sur le même sujet. Alors que ce dernier éloignant les migrants dans le flou du décor ou dans un mutisme volontaire, Mundruczo fait de ces derniers la figure salvatrice des hommes et la place au coeur de son film, rejoignant le miracle fécond de cette jeune réfugiée africaine du nom de Kee mis en scène par Cuaron dans Les Fils de l’homme. Comme celui-ci, Mundruczo n’hésite aucunement à mettre en scène une histoire contemporaine en utilisant les images spectaculaires de son temps : effets spéciaux, plans acrobatiques, courses poursuites haletantes. In fine, en bon film libre, sans complexe aucun au sujet de la forme employée, et ne s’emprisonnant dans aucun carcan théorique (si le propos reste, certes, clair du début à la fin, le film part dans tous les sens), La Lune de Jupiter est un un objet à la fois étrange et réjouissant. Et sa plus grande force reste, tout compte fait, de croire véritablement au miracle qu’il met lui-même en scène, et, au passage, en la faculté prodigieuse du cinéma de pouvoir nous faire, à nouveau, lever les yeux. 

Titre original : Jupiter holdja

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Durée : 123 mn


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