Pour un film à succès, les seuls ingrédients qui vaillent sont le sexe, la religion et la politique.” (extrait de La
dame sans camélias)
Une étoile est née ou les feux de la rampe..
Le mélodrame -car il s’agit bien d’un mélodrame en demi-teinte – relate l’ascension et la chute météoriques d’une étoile naissante portée au firmament pour sa seule photogénie : Clara Manni (Lucia Bosé). Sa trajectoire fulgurante relève tragiquement de celle d’une comète.
Par un curieux mimétisme, le parcours artistique de Lucia Bosé se confond par endroits avec celui de la starlette qu’elle incarne. Avant sa brève carrière en pointillés, elle est couronnée Miss Italia dans un incessant jeu de miroirs que lui renvoie sa plastique irréprochable et ses velléités de “faire l’actrice” qui reviennent comme un mantra tout au long du film. Dans un moment dérisoirement suggestif, Alain Cuny et Lucia Bosé répètent une scène d’ enlacement sous les lazzis des personnes présentes sur le plateau aux cris de : “Censure! Censure!”.
Mue par une séduction irrésistible qui emporte ses admirateurs dans son orbite, la notoriété naissante de Clara Manni se heurte malgré tout au sexisme, aux stéréotypes de genre, au machisme ambiant et au plafond de verre de l’univers de l’illusion, du clinquant et de l’imaginaire qu’est Cinecitta, avatar transalpin de l’usine à rêves hollywoodienne.
Plafond de verre et sexe-symbole …
Confrontée à ses propres désillusions tant son registre est limité et cantonnée à une aura éphémère de sex-symbol qu’elle n’assumera qu’à contrecœur et contre les vents et marées de la célébrité, Clara est victime de l’artificialité de son succès. Les producteurs de Cinecittà, plus ou moins bien intentionnés à son égard, tirent des plans sur cette comète.
Gonflée de l’importance d’un statut fraîchement acquis et d’un ascendant de pacotille, la star en puissance, tout juste émancipée de ses débuts de starlette, se fraye un chemin contraint à travers la foule compacte des figurants qui font le pied de grue en attendant qu’on les appelle, leur tour venu. L’ambiance est pesante et suinte de toutes parts le glamour de carton-pâte dans cette cour de Cinecitta. Entraînée contre son gré dans une spirale descendante, Clara semble acquiescer à son sort. Sans se départir de son vernis passablement écaillé, elle oppose une résistance courageuse. Antonioni la lâche aux lions et l’abandonne à un destin cruel et à un sourire figé; révélant par là même la
nature capricieuse du vedettariat.
Selon les standards et canons cinématographiques de l’époque et bien que copieusement censurés, la sensualité ou plus trivialement le sexe à l’écran servent d’alibi. De facto, les femmes dévêtues sont un must pour attirer le public et faire appel à son plus petit dénominateur commun.
A l’aune de l’industrie du cinéma italien de l’époque, en plein essor, Cinecitta produit près de 300 films annuels. La jeune starlette, ex-vendeuse de vêtements à Milan, se voit catapultée à Rome, au cœur de Cinecittà.
Les coulisses de Cinecittà : un univers impitoyable où le glamour n’est que stuc et carton-pâte à l’instar des décors..
Volontariste, elle évolue dans un monde frelaté où ses homologues masculins sont dociles, à mille lieues des mâles alphas qu’ils prétendent hypocritement incarner à l’écran. Fraîche émoulue de son premier succès, Clara se laisse séduire par Gianni (Andrea Checchi), un producteur intransigeant. Le mariage à un beau parti est un passage obligé et comme un gage de sécurité quasi inaltérable pour la femme italienne d’extraction modeste en cette période de l’après-guerre où le boom économique pointe le bout de son nez. Le producteur la couve jalousement, qui n’envisage pas une seconde une carrière de sexe-symbole pour sa protégée. A contrario, il l’illustre dans une énième mouture de Jeanne d’Arc qui se révèle être un flop commercial retentissant et dispendieux au surplus.
Désillusionnée et redescendue de son piédestal, Clara s’enferre dans une liaison avec un gigolo diplomate, suavement perfide et cynique à souhait (Ivan Desny) avant qu’elle ne décide d’embrasser, dans toute sa superficialité, la carrière en stuc comme les décors que lui destine Cinecittà. Par un tour du fatum, la fiction recoupe la réalité. Ironie du sort, la photogénie de Clara la condamne à s’atteler à “L’esclave des pyramides” alors qu’elle s’est mise à lire Pirandello dans le texte. Tout comme Hollywood, Cinecittà broie les icônes qu’elle fabrique.