Rencontre avec Jennifer Devoldère

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Dans un charmant hôtel de luxe parisien, entre quelques vannes de Mélanie Laurent, Jennifer Devoldère nous parle de son second film, de Judd Apatow et de Tina Fey. Un échange joyeux autour de la culture de la comédie, dans le cadre d’une longue journée promotionnelle.

Judd Apatow : un modèle avéré

Contrairement à votre film, la plupart des comédies françaises sont écrites et réalisées par différentes personnes. Etes-vous d’abord réalisatrice ou scénariste ?

Je me sens plus réalisatrice que scénariste mais je ne sais pas pourquoi. C’est vrai que je ne me réveille pas en me disant : « Mais qu’est-ce que je suis ? ». Cela dit, je ne sais pas si je tournerais un jour un film écrit par quelqu’un d’autre. Ça vient surtout du fait que j’ai beaucoup réalisé pour la pub, où on est seulement réalisateur et n’écrit jamais rien. Je me vois plus réalisatrice alors que j’écris très régulièrement.

Quel a été le processus d’écriture du scenario ?

J’ai d’abord commencé par le thème. J’avais cette idée du père et de sa fille qui ne s’entendaient pas. Le père serait ami avec tous les ex de sa fille, je trouvais que c’était une bonne idée de comédie. Mais au final, le film englobe plein d’autres thèmes qui ne sont pas forcément comiques. D’ailleurs, ce n’est pas entièrement une comédie, même si je le vois comme tel.

Une chose rare dans le film est la place qu’il offre aux personnages secondaires. Ils existent, nourrissent l’histoire et ont tous des scènes comiques. Une particularité que l’on trouve d’avantage dans la comédie anglo-saxonne. Ce cinéma vous influence-t-il ?

Beaucoup. Judd Apatow m’influence énormément. Il réussit à actualiser la comédie des années 80 et représente le dernier vrai courant récent de la comédie. En voyant l’affiche d’un film comme 40 ans, toujours puceau, on pouvait s’attendre à une immense connerie alors que c’est un film très profond avec des thèmes extrêmement graves, plein de tendresse pour ses personnages. Il est à la fois très drôle et très dramatique.

Du coup, il y a un fort attachement à ces personnages secondaires qu’on aimerait encore suivre. Une écriture de série…

C’est ce que j’avais dans l’idée. Dans une série, on s’attache énormément aux personnages. On a même l’impression que ce sont nos amis et on ne comprend pas pourquoi on ne peut pas les appeler en cas de souci ! Dans le film, je voulais mettre de la « culture série » dans la caractérisation et le développement des personnages. Je trouve aujourd’hui que ce qu’il y a de plus fort en terme d’écriture, c’est la série, pas le cinéma.

On reste dans ces influences américaines. Dans le film, il y a un Comedy Club qui rappelle Funny People

En général, j’aime la culture de la comédie et du stand up. J’avais déjà imaginé ce lieu avant d’avoir vu le film mais c’est vrai que devant Funny People, pendant la première heure, je me disais que c’était mon film préféré de tous les temps. Bon, j’aime moins la deuxième heure, quand le film devient du Feydeau avec ces histoires de couple et d’enfants.

Il voulait faire tourner sa femme et ses enfants.

C’est sûr ! Mais même s’il avait tourné ces scènes pour leur plaisir, il aurait pu les couper au montage. C’est horrible car j’adore ce film. Apatow a su montrer ce qu’était être comique de stand up en montrant les prises de tête sur l’écriture d’une vanne avec cette tragédie de devoir être drôle tout le temps, pour tout le monde. C’est un film important pour moi, que je regarde très souvent… mais pas jusqu’au bout.

Mélanie Laurent, un potentiel comique ?

Revenons au film. Tous les personnages formant l’entourage du personnage principal sont décalés, sauf son futur amoureux.

Oui, il est très premier degré. Il n’a pas d’humour. Je voulais d’abord dire que tout le monde est complètement farfelu et très névrosé mais lui, c’est vraiment la seule personne « normale », un point d’ancrage pour le personnage principal. Il est différent, très terrien. Il me semblait logique qu’elle doive tomber amoureuse de quelqu’un comme ça pour éviter de se retrouver encore à 8000km de la Terre. Elle a un peu besoin de lui pour survivre.

Il y a aussi l’opposition/équilibre entre le corps et l’esprit…

Oui, il fait de la boxe, travaille dans un magasin de chaussures à tripoter des pieds toute la journée. Mais il aime ça, il est dans le concret, la sensualité et dans le corps. Tous les autres personnages n’ont pas de corps, ils sont dans l’esprit, dans la pensée, dans le questionnement. L’héroïne du film trouve cet équilibre qui fait qu’elle le choisit lui.

Mélanie Laurent touche pour la première fois à de la comédie pure. Comment a fonctionné votre collaboration ?

Elle s’est adaptée au texte en travaillant le timing de certaines répliques mais je me suis aussi laissée influencer par son humour. Certes, elle n’est pas une actrice de comédie, comme Florence Loiret-Caille d’ailleurs, et pourtant elles sont toutes les deux très drôles. La comédie, c’est du timing. Dans la vie, Mélanie est quelqu’un de très drôle, avec ce sens du timing. Je savais qu’elle pouvait le faire. Elle avait cette crainte de ne pas être à la hauteur face à des gens comme Géraldine Nakache, Michel Blanc ou Manu Payet. Pendant le tournage, elle m’a surprise. Elle sortait des phrases que je n’avais pas entendues comme ça à l’écriture, qui était plus intéressantes. Elle a vraiment réussi à le faire à sa propre sauce.

Pendant le tournage d’une scène, proposez-vous différentes vannes dans l’action ?

Parfois mais j’ai du mal en tournage. J’ai trop de choses à faire, même si j’aimerais rajouter des vannes. Et puis j’ai besoin de silence et de calme pour écrire et ressentir les choses, même si c’est un peu con de dire ça.

Laissez-vous une place à l’improvisation ?

Un petit peu. En général, je n’aime pas trop chambouler le texte. Je préfère travailler le texte en amont avec les acteurs pour l’adapter en fonction des constructions de phrase car je sais que, des fois, je parle bizarrement.

Pour l’instant, ça va…

Tant mieux !

Placement de produit ?

Quelles sont vos inspirations pour l’écriture comique ?

Le film a ce type d’humour, que j’apprécie, fondé sur l’observation. Je note des choses du quotidien qui me font rire. Plein d’anecdotes que j’essaie d’intégrer. Et puis, ça vient aussi et souvent de blocages. Se moquer de ses propres blocages, c’est toujours mieux que de les cacher. Ils n’ont aucun sens et sont propension à la comédie à l’infini. Et tout le monde en a, c’est ça qui est bien !

 


Dans ce film, il y a une autre particularité qu’on trouve très peu dans la comédie française, c’est un humour ultra référencé…

Je suis contente car personne ne me l’a jamais dit. C’est vrai que beaucoup de gens n’aiment pas ça car on cite beaucoup de marques alors qu’il n’y a aucun placement de produit ! Aujourd’hui, les marques font partie du quotidien et sont ancrées dans notre culture. Ce comique de référence vient aussi de cette culture du stand up qu’on retrouve peu en France, mais ça évolue. On a pu voir à des projections que le film plait au 15-25 ans aussi pour ça. Ils ont aussi ces nouvelles références de comédie.

Quitte à ce que certaines références ne soient pas connues de tous, à l’image de cette blague de Michel Blanc sur Dr Dre…

On me disait quelquefois que personne ne pouvait comprendre certaines répliques. Tant pis ! Sinon, on ne fait jamais rien. Dans les films américains, ils s’en foutent qu’il y ait des gens qui ne comprennent pas tout, ils y vont quand même.

Autre particularité, comme Le nom des Gens ou Les invités de mon père, Et soudain, tout le monde me manque est une comédie drôle écrite par une femme…

Trois films UGC !

Il est là le placement de produit !

Je plaisante, mais bon… Plus sérieusement, ce sont surtout trois comédies contemporaines qui n’ont aucun point commun dans leur culture et dans leur humour mais parlent des mêmes thèmes : la place des parents, de la filiation, de l’identité…

D’ailleurs, la comédie au cinéma est rarement un genre féminin…

Les femmes sont moins drôles. J’ai beaucoup aimé Le nom des gens, bien qu’il ne soit pas dans une culture de comédie à proprement parler. Et pourtant, je trouve Baya Kasmi hilarante, elle a quelque chose de très personnel et de très fort. Malgré tout, selon moi, l’humour est quelque chose de masculin, mais il y a des femmes aux écritures très drôles comme Tina Fey ou Sarah Silverman.

Propos recueillis à Paris par Csaba Zombori, le 14 avril 2011


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