Le film relate un haut fait supposé de l’armée chinoise lorsque, au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, l’APL (Armée de Libération Chinoise) vint à bout d’une bande de gangsters qui avait transformé la province de Dongbei en zone de non droit. Installés dans une forteresse au sommet de la montagne du tigre, ils semaient ainsi la terreur parmi les villageois. Entre affrontements spectaculaires déséquilibrés et vraie partie d’échecs stratégiques, l’armée et les bandits se livrent donc un combat sans merci. Cette histoire avait d’abord été transposée dans un roman de Qu Bo parut en 1957, ce dernier étant à son tour adapté dans un opéra faisant partie des huit œuvres modèles et seuls spectacles autorisés durant la Révolution culturelle. Enfin en 1970 un premier film réalisé par Xie Tieli en sera tiré, objet désuet mais vu par toute la jeunesse chinoise d’alors et dont Tsui Hark inclut certains passages dans sa relecture. Le début du film fait craindre le pire quant à la capacité de Tsui Hark à se sortir de la lourdeur idéologique. L’ouverture est en effet contemporaine avec le souvenir de la « légende » qui vient interrompre la fête de nouvel an de jeunes Chinois oisifs puisqu’un extrait de l’opéra est lancé par erreur durant leur karaoké. L’un d’entre eux, petit-fils d’un des héros de l’odyssée et qui s’apprête à aller travailler aux Etats-Unis ressent alors le besoin de se ressourcer auprès des siens, lançant l’aventure en flashbacks. La première demie-heure où Tsui Hark doit installer un certain réalisme à son contexte est assez laborieuse. Revisiter et s’approprier des œuvres et des personnages inscrits au cœur de la culture populaire chinoise constitue un des socles thématiques de Tsui Hark, autant comme réalisateur que producteur. Il a ainsi offert des relectures envoûtantes de contes traditionnels avec les merveilleux Green Snake (1993), The Lovers (1994) et la saga des Histoires de fantômes chinois. Il relancera la figure alors désuète du héros national Wong Fei Hung (et le film de kung fu par la même occasion) dans la saga des Il était une fois en Chine et s’appropriera la figure du sabreur manchot inventée par Chang Cheh avec le furieux The Blade (1995). Chacune de ces œuvres était imprégnée d’une schizophrénie où la nostalgie déférente se disputait à un modernisme bousculant ces institutions – le passéisme et la peur de l’étranger de Wong Fei Hung ou encore le thème de l’homosexualité insidieusement inséré dans The Lovers.
Tsui Hark n’a pas la même marge de manœuvre ici mais va s’approprier le récit en en faisant une pure démesure de cinéma populaire plutôt qu’une épopée réaliste larmoyante. Le premier affrontement donne le ton avec ce gunfight aux effets 3D (magistralement utilisée tout comme dans le second Detective Dee) outranciers, à l’emphase héroïque et sauvetage improbable des soldats. Cet aspect serial d’aventure s’assume également dans la caractérisation des personnages avec un Tony Leung ka fai s’étant composé une sacrée trogne en pur méchant échappé de James Bond et filmé comme tel. Nous sommes dans une grande BD extravagante dont le réalisme s’estompera peu à peu, la bascule se faisant définitivement lors d’une stupéfiante séquence face à un tigre numérique. Si les scènes au village où les soldats côtoient et sympathisent avec les locaux restent attachantes, Tsui Hark cherche surtout à créer l’émotion par l’action et le suspense plutôt que le mélodrame. Ainsi, en dépit d’une interprétation solide (Lin Gengxin en jeune chef d’escadron) l’intérêt du réalisateur va aux figures les plus fantasques de l’histoire. Yang Zirong (Zhang Hanyu) constitue un personnage haut en couleurs, homme à tout faire dévoué et plein de ressources qui prend le récit en main pour le meilleur moment du film. Il s’infiltre alors dans la forteresse en se faisant passer pour un allié, invoquant ruses et jeu de dupes pour découvrir les plans des méchants en risquant à tout moment d’être démasqué. On retrouve l’influence de Chu Yuan chez Tsui Hark dans cet art de l’intrigue de palais croisé à l’espionnage, le drame naissant dans l’action (la jeune mère séquestrée par le cruel Hawk) et rendant même certains acolytes du méchant plus nuancés.
L’héroïsme noble se conjugue ainsi à une volonté d’en mettre plein la vue, à l’image des deux grands morceaux de bravoures du film. La bataille déséquilibrée entre villageois et bandits en restera donc à une dimension « réaliste » lorgnant sur les Sept Samouraïs (Akira Kurosawa, 1954) – influence que Tsui Hark endosse bien mieux que sur son Seven Sword (2005) – avec dépassement de soi et sacrifices vaillants. A l’inverse, l’assaut final de la forteresse est d’une outrance folle, Tsui Hark exploitant toutes les possibilités de son décor, truffant l’ensemble de rebondissements ludiques qui culminent avec une avalanche dantesque. Une nouvelle fois on pense à James Bond, Indiana Jones et autres grands souvenirs de cinéma populaire, Tsui Hark ayant littéralement vampirisé le film par son approche too much. Cela s’avère d’autant plus vrai lors de la conclusion. L’épilogue apaisé donne dans cet humanisme poussiéreux et bienveillant évité tout au long du film et l’on craint que le réalisateur fasse néanmoins allégeance à la tradition. Quelle n’est pas la surprise du spectateur en voyant surgir un nouveau climax avant le générique (en fait la vraie fin refusée par les producteurs car trop irréaliste) qui conclut l’ensemble sur un moment aussi fou que grisant. Les hauts faits réels sont ainsi magnifiés avec une folie qui les dissocie de tout message si ce n’est celui de son auteur. Tsui Hark désamorce la commande avec le brio de ceux que Martin Scorsese se plait à appeler les « cinéastes de contrebande ».