Kings

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En passant de l´autre côté de l´Atlantique, la cinéaste turque Deniz Gamze Ergüven n´a pas renié son engagement artistique et politique. « Kings » est le prolongement américain de son chef-d´oeuvre « Mustang ». Après la lutte féminine, la guerre raciale.

Les raisons de la colère

Par sa thématique, Kings se rapproche du dernier film de Kathryn Bigelow, Detroit. Les deux réalisatrices se penchent chacune sur une émeute raciale urbaine : Bigelow sur celle de Detroit en 1967, Ergüven sur celle de Los Angeles en 1992, qui éclate après la relaxe des policiers qui avaient tabassé Rodney King, un Afro-Américain. En raison de leur point de vue extérieur à la communauté afro-américaine – les deux sont blanches –, elles ne produisent pas des films directement militants, mais s’intéressent davantage à la montée de la colère. Detroit et Kings s’apparentent à du cinéma physionomiste, dans la mesure où les corps expriment plus que le verbe.

Néanmoins, la mise en scène diffère. Chez Bigelow, la caméra tremble de tous ses membres, et entame durant la première moitié du film une sorte de transe nerveuse, qui suit le rythme saccadé des corps révoltés. Ergüven se montre moins agitée. D’une part, elle fait commencer son récit quelques mois avant le déclenchement des émeutes, au moment où une commerçante asiatique abat dans son magasin une jeune afro-américaine qu’elle soupçonnait de vol, puis avec l’affaire Rodney King. Cette première partie du film explore l’état d’esprit de la communauté noire de Los Angeles, qui suit fébrilement le procès des policiers qui frappèrent King. La population se divise déjà en deux camps. Une partie optimiste, qui croit en la justice : on y retrouve la famille de Millie (Halle Berry), une bienfaitrice du quartier, et son fils Jesse (Lamar Johnson). Une autre demeure sceptique, sachant pertinemment que le jury, où ne siège aucun Noir, choisira l’acquittement des policiers : c’est le camp des jeunes désireux de s’affirmer, tels William (Kaalan Walker) et Nicole (Rachel Hilson).

 



Au cœur du chaos
La deuxième partie de Kings suit le déroulement des émeutes proprement dites. Mais Ergüven refuse un traitement linéaire et distancié des événements. Comme pour Mustang, elle incarne les luttes contre les oppressions à travers des personnages singuliers. En d’autres termes, elle privilégie toujours une perception subjective du chaos.

Aussi, on suit les émeutes à travers une polyphonie de regards : Jesse, William et Nicole errant dans la ville, les enfants de Millie s’amusant à piller les boutiques, Millie et Ollie (Daniel Craig) en quête des gamins. Petite et grande histoires s’imbriquent. Insurrection politique et expression corporelle se confondent.

Kings fait penser aux bougies fontaines, ces bougies d’anniversaire qui étincellent pendant plusieurs minutes. Durant une heure et demie, Ergüven fait durer la tension, sans jamais la relâcher. Une pression constante s’exerce sur les corps, qui, de temps à autre, éclatent. Kings n’a certes pas la force émotionnelle, à la limite de l’insoutenable, de Detroit. Ce qui n’est pas un défaut. À l’excès physique de Detroit, Kings ajoute une politique de la sensibilité, qui se déroule sur le long terme.

Ou comment faire du corps un champ de bataille, des sentiments des zones de guerre, et de l’intime une question politique.

Titre original : Kings

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Durée : 98 mn


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