Kill Bill

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« Kill Bill » ou la vengeance au féminin.

« La vengeance est un plat qui se mange froid »…et une mariée au visage tuméfié se prend une balle dans la tête…Zénith de Tarantino, Kill Bill est une succession de tableaux hommages cinéphiles et le creuset dans lequel se déversent toutes ses obsessions : femme forte, humour et vengeance. Cette dernière sert d’abord à la caractérisation des personnages. Tous ont un compte à régler ou à se faire régler. Elle est aussi un programme que l’on suit et le prétexte à l’existence même du film. La mariée doit se venger pour agir et faire avancer l’intrigue. Et au cours de sa quête, à mesure qu’elle tue et purge la violence qu’elle a en elle, elle s’humanise ; et ainsi on apprend à la connaître et à l’aimer.

C’est la beauté scandaleuse de Kill Bill. Là où la vengeance est souvent vécue de manière moralisante, comme un poison pervertissant l’âme du héros, elle mène ici vers une réhumanisation. Tarantino réussit avec Kill Bill là où d’autres ont échoué avant lui. Ce n’est pas un secret, la structure du film est vaguement inspirée de La mariée était en noir. Mais la rigidité avec laquelle Truffaut met en scène Jeanne Moreau donne une sensation de statisme ; elle tue sans jamais évoluer, reste toujours froide et réduite à une fonction scénaristique. Le film de Truffaut était aussi la représentation de la revanche des femmes. Plus précisément, de la petite femme au foyer bourgeoise, prise entre cinq variations de la masculinité. Masculinité concevant tour à tour la femme comme une ménagère, une maman, un objet… Dans Kill Bill les hommes sont, en grande partie, des beaufs et des médiocres, là où les femmes sont toujours à poigne et ont le pouvoir. Ainsi 15 ans avant le mouvement meetoo et la déferlante de rage qu’il traîne, Tarantino annonce la couleur de ce qui va suivre…Une société où l’homme lambda est un porc à traiter impitoyablement. Mais attention, il prend soin de ne pas rendre son film militant. Il s’en prémunit par l’humour. L’humour du comportement de sa femme vengeresse face aux gros débiles qui l’assaillent. Comme lorsqu’elle coupe en morceau le sabre d’un jeune assaillant, castration symbolique, pour ensuite lui donner la fessée et lui intimer de rentrer chez sa mère. Ou même, plus que l’humour, le bizarre des situations, met à distance et permet de ne pas oublier que nous sommes au cinéma, donc dans un monde a ne pas prendre au pied de la lettre. Comme cet instant où, pour sauver sa vie face à une tueuse, notre héroïne doit la convaincre qu’elle est effectivement enceinte en lui faisant lire la notice d’un test de grossesse…tout en se tenant en joue. Bizarrerie de situation qui prêterait à rire, mais qui en réalité émeut, tant le jeu d’Uma Thurman est subtil.

 

 

L’obsession de la vengeance agit aussi comme le liant des dix chapitres du film. Sans elle, sans ce but ultime de tuer Bill, pas un des tableaux ne tiendrait l’un avec l’autre, tant les univers qu’ils dépeignent sont variés. Pêle-mêle, on y trouve film de sabre, de kung-fu, Taïwanais type King Hu, western classique et spaghettis. Tarantino est un grand cinéaste américain et c’est l’idée du melting pot qui travaille nombre de ses films : il mélange des genres comme on mélange des peuples. La scission du film en deux volumes est utile à structurer ce mélange, en répartissant efficacement la mise en scène de la vengeance. Le premier volume, plus japonisant, explore la vengeance sous son aspect graphique, sanglant et cartoonesque. Le plus drôle. On a à faire ici au plaisir jouissif d’être face à quelque chose d’outrancier. Le second, plus western, explore la vengeance sous sa forme la plus psychologique. Il repose sur le dialogue, la conversation et le temps mort ; sur le duel. Cette vengeance-là est la plus brutale et injuste, parce que justement moins explicite et plus intérieure. Plus retorse et plus subtile. Plus humaine. Et c’est justement parce que l’on passe de ce régime de la vengeance graphique à celui d’une vengeance psychologique que l’espace se libère pour permettre aux personnages de s’humaniser et d’évoluer. De susciter à la fois émotion et prise de recul. D’aucuns s’arrêtant sur les effets de style ou le maniérisme affirmé de Tarantino jugeraient ce film superficiel. Ce qui serait passer à côté de l’essentiel : l’histoire et son thème.

Tarantino est un immense scénariste, et c’est par le thème et la structure narrative que toutes ses subtilités se déploient. Car il faut être capable d’une grande sensibilité et d’une grande intelligence pour trouver le dosage adéquat entre vengeance graphique et psychologique. Pour éviter de tomber dans le piège du cliché facile de la femme vengeresse, sans recul, qui ramènerait les personnages à de simples fonctions scénaristique ou politique. Ainsi, la vengeance de Kill Bill est un outil subtilement utilisé servant à révéler la grande blessure de ses personnages : la solitude. Et mine de rien, elle n’est pas non plus le vrai sujet du film. En l’occurrence, il s’agirait plutôt du destin et l’impossibilité d’y échapper. Et la manifestation de ce destin est l’ironie de l’histoire. Car dans le fond, la mariée est en partie malheureuse une fois sa vengeance accomplie. Certes, on s’amuse en se vengeant. On tue, on saute, on se bagarre et on rit. Mais une fois l’autre éliminé, on se retrouve sans ennemies et sans raison de se mouvoir. On est un peu mort. Un peu comme un autre samouraï occidental, damné au départ même de son film, celui de Jean-Pierre Melville. Samouraï à qui il est peut-être rendu hommage au travers de sa célèbre ouverture truquée où il est annoncé que d’après le Bushido « il n’y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï, si ce n’est celle d’un tigre dans la jungle. » Et Tarantino de conclure : « La lionne a retrouvé son petit, et la paix est revenue dans la jungle. »

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