« Je ne suis plus la petite fille que vous avez connue. »
C’est dans les à-côtés de la prostitution que le film se déploie, dans les marges de son sujet apparent qu’il se révèle. Quand il filme Isabelle en tant que jeune fille de 17 ans solitaire, renfermée, sans goûts ni intérêts particuliers, Ozon montre une ado qui ne parvient pas à faire corps avec sa propre existence, son propre corps. Tout prend alors chez elle les dehors du jeu, de la comédie. Celle qu’elle joue à sa famille et son petit ami en fin de film pour les rassurer – eux plus qu’elle puisqu’elle ne semble à aucun moment dupe de la situation. Celle qu’elle joue à ses clients aussi, chaque passe mettant en place un rituel précis : les échanges par textos, les vêtements qu’elle revêt, empruntés à sa mère, ont tout d’un déguisement, les trajets… Tout ceci donne, non pas un « sens » à son existence, mais au moins une direction, une occupation. Isabelle apparaît ainsi comme étrangère à elle-même (parfois de manière un peu trop littérale par la mise en scène) et aux autres. « Tu me fais peur, Isabelle », lui dit sa mère ; « Sois naturelle », exige un client. Finalement, ce n’est pas la prostitution qui lui permet de prendre possession de son corps – ou recouvrer ses esprits, c’est ici identique – mais le dévoilement de cette double vie. Une fois le pot-aux-roses découvert, Isabelle semble pour la première fois maître d’elle-même et jouir de ce nouveau statut en déstabilisant les adultes par la parole, non plus par son corps. Cela donne les scènes les plus intéressantes et les plus drôles du film, Marine Vacth (Ma part du gâteau – Cédric Klapisch, 2010) jouant un peu autre chose que la mystérieuse évanescente.
Comme trop souvent chez Ozon, les limites de son approche sont vite atteintes. C’est la structure même du film qui est à interroger. Si le feuilletage fonctionnait à merveille dans 5×2 (2004), qui ne conservait que quelques moments-clés à rebours de la vie d’un couple du divorce au mariage, ici, le découpage en saisons, au contraire, ne révèle rien de la jeune fille, mais montre une approche globalement superficielle. De manière symptomatique, les séquences s’arrêtent justement quand elles deviennent intéressantes, quand le réalisateur tire sur un fil un peu plus complexe que son canevas de base. Déjà Le Refuge (2010) pâtissait de la même faiblesse, Ozon s’arrêtant à l’idée (filmer une femme enceinte et faire se rencontrer réalité et fiction) sans la creuser. Si le personnage d’Isabelle pourrait encore faire illusion, le traitement de son entourage ne leur laisse aucunement la possibilité d’exister autrement que comme un dispositif de mise en valeur : le frère n’est qu’un observateur et une oreille attentive qui permet de donner la parole à Isabelle, le beau-père se fait le double d’Ozon dans le dernier tiers afin de donner sa vision du film, et Géraldine Pailhas se débat avec un beau personnage de mère perdue et effrayée par sa fille mais ne peut rattraper le ridicule de certaines situations (« Elle a le vice en elle »).
Comme à l’accoutumée depuis quelques années, depuis Ricky (2009), si l’on excepte le semi-fiasco de Angel (2007) et le montage raté du Temps qui reste (2005), c’est le constat d’une certaine paresse qui marque face à un réalisateur-scénariste qui a le don de l’idée judicieuse, mais se refuse systématiquement à la développer pour laisser place à une mise en scène affectée – dès Swimming Pool (2003), Ozon subit de manière régulière le « complexe Lynch » – qui tourne joliment à vide. À l’image de son titre, le film, inutilement aguicheur, ne propose pas grand-chose. C’est déjà moins dramatique que le brouillon d’écolier servi l’année dernière avec Dans la maison, mais pas beaucoup plus encourageant.