Jack

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Très beau film sur l’enfance, « Jack » bouleverse et révolte.

Dans une Berlin anonyme, Edward Berger installe l’histoire de deux petits garçons à la recherche désespérée de l’amour de leur mère. Film magnifique et solaire, digne des plus grandes œuvres néoréalistes, Jack est le récit cinématographique d’un souvenir qui a beaucoup marqué le réalisateur. Un jour, jouant au football avec son propre fils, celui-ci salua un petit garçon, qui passait avec un gros cartable, d’un retentissant "Jack !". Il lui expliquera ensuite que ce petit garçon dort chez sa mère le vendredi et tout le week-end, puis retourne au foyer. Cette vision fugace porteuse de tristesse et de mélancolie sera le point de départ d’un film qui tente de rendre à cette histoire la détermination et l’optimisme de l’enfance.

À partir de là, Edward Berger a, en collaboration avec Nele Mueller-Stöfen, écrit un scénario, d’abord chacun de leur côté pour tenter de donner véracité et profondeur aux descriptions et aux dialogues. Le résultat est étonnant et repose surtout sur le casting impeccable. Jack et son petit frère sont saisissants de vérité. Ivo Pierscker, le jeune garçon de 10 ans qui interprète le rôle titre du film, crève vraiment l’écran et joue d’une façon à la fois naturelle et très élaborée, d’autant que, tout au long du film, il est sans cesse en mouvement, cherchant à retrouver sa mère, à protéger son petit-frère et à trouver des refuges. Le mouvement est d’ailleurs la chose la plus difficile à rendre au cinéma, même s’il est, justement, l’art emblématique de celui-ci, qu’il porte même dans l’origine de son nom. « Nous ne voulions pas d’un acteur professionnel, explique Edward Berger. Avec le concept choisi, notre rôle principal allait être dans tous les plans du film. Le récit allait se dérouler sur le visage de l’enfant. Nous avions besoin qu’un garçon de dix ans puisse porter le film sur ses épaules et qu’il ait aussi une forme d’innocence sur le plateau. Qu’il ne prépare pas ses scènes comme un acteur le ferait. »

Le résultat est probant : on peut dire que le jeune Ivo porte le film en grande partie sur ses frêle épaules de petit garçon téméraire et pugnace. Le film vaut le détour ne serait-ce que pour lui. Pour le rôle de la mère également, étonnante elle aussi de vérité. Ce n’est pas une mauvaise mère, au sens où la presse des faits divers l’entendrait, mais une toute jeune femme qui voudrait encore jouer à la poupée et profiter de la vie, aimant ses enfants mais d’une manière assez égoïste et sans grands projets d’éducation ni même de soucis de survie dans ce monde impitoyable. Le film montre à merveille l’attachement quasi viscéral de Jack à son petit frère et surtout à sa maman, lorsqu’il quitte son foyer d’accueil pour tenter de la retrouver coûte que coûte. Il y a dans cette quête quasi désespérée une force et une magie qui ne peuvent que rendre le film sympathique et émouvant. Berlin en toile de fond, avec une lumière et une photographie jamais tristounettes ni assombries, bien au contraire (les scènes quasi rupestres dans le Tiergarden abondent) et le prénom de Jack, sans savoir s’il était vraiment celui du petit garçon qui inspira l’histoire, convient tout à fait car, comme le souligne le réalisateur, il contient une forme d’aura et évoque aussi les grands pionniers américains. « Ce gamin, dit-il, est un pionnier comme ces explorateurs qui à l’époque partaient d’Est en Ouest traverser les États-Unis pour découvrir de nouvelles terres. » La sienne, sa mère et son frère, seront redécouvertes par lui, et cultivées dans quelques plans finaux particulièrement réussis.

Titre original : Jack

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Durée : 103 mn


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