Héloïse Pelloquet :
L’histoire se passe de nos jours, mais vous semblez vouloir rendre votre récit le plus intemporel possible. Je pense notamment à la photographie, mais aussi à la réduction à minima de détails liés au décor, aux accessoires (peu de portables, si je me souviens bien). Des personnages qui vivent une passion sont–ils finalement hors du temps ? Est ce que c’était ici votre idée de départ ?
Ce n’est pas si pensé. Mais ce que vous dites est beau et finalement assez juste. S’il n’y a pas beaucoup de portables, c’est parce que c’est une chose que je n’aime pas mettre à l’écran, un petit écran dans l’écran. Pour la photographie il y avait une envie d’un rendu qui se rapproche de la pellicule. On a tourné en numérique, on n’avait pas forcément le budget pour tourner en 35 mm, mais le chef opérateur a réussi à composer une texture très proche de l’argentique. Je voulais que les couleurs, les teintes, contribuent au romanesque du film. Le récit traverse plusieurs saisons, il a vraiment travaillé numériquement chaque saison pour que chacune ait sa gamme chromatique.
L’action se situe une île, mais l’aspect pittoresque des lieux passe largement au second plan (Noirmoutier n’est pas cité et est peu reconnaissable). Ce qui est important dans cette insularité c’est la notion de solidarité (quand les relations se passent bien) et d’enfermement (pression) quand la situation des personnages devient plus problématique. C’est dans ce sens que vous avez travaillé le repérage des lieux ? Et surtout vos choix de cadrage ?
En fait, c’est surtout que je voulais que ce soit une île de fiction, que l’on ne recherche pas à reconnaître l’endroit. Je n’avais pas envie de montrer Noirmoutier, d’ailleurs j’ai un peu triché, quand au début ils arrivent en ferry, c’est L’île- d’Yeu. Je voulais qu’on imagine une île marécageuse, toute petite, où tout le monde se connaît. Des marécages, un port, un village. C’est vrai que l’insularité peut se traduire par ces deux types de situation. C’est le cas également pour les villages. Il peut y avoir beaucoup d’entre-aide. Et ce que le film raconte aussi c’est que l’intégration est beaucoup plus complexe que cela. Chirara est une étrangère, elle est belge d’ailleurs. Lors de son arrivée il y a vingt ans, elle a été bien accueillie, elle a découvert une nouvelle famille. Mais dès qu’elle réalise que sa relation avec Maxence génère une forme de scandale, toute la communauté se retourne contre elle. Je ne cherche jamais à juger les personnages, il n’y aucun jugement moral, les amants sont pris dans leur passion, et ceux qui portent un regard critique sur eux ont leurs raisons. Je pense notamment au meilleur ami d’Antoine (mari trompé). Il ne va pas protéger Chiara. C’est très humain. Le film ne fait pas de montagnes russes. L’histoire d’amour est une aventure, mais une aventure ordinaire. On ne cherche pas de justifications à cette passion, Chiara était heureuse dans son couple, dans son métier. La passion ne s’explique pas, elle se vit, tout simplement.
Votre caméra met en valeur Cécile de France comme rarement à l’écran. On dirait que le film a été écrit en pensant à elle ? Est-ce le cas ? Et ce dès l’origine de votre projet ?
L’idée m’est venue à la fin de l’écriture du scénario. Mais c’est vrai que pendant l’écriture j’ai pensé souvent à elle, ne serait-ce que pour concevoir certaines scènes, pour voir un visage, entendre une voix. A la fin de l’écriture, j’ai fait une liste d’actrices que j’aimerais voir dans ce rôle. Cécile était en tête de liste, je lui donc envoyé en premier le scénario. elle a répondu très rapidement.
La façon dont vous mettez en valeur la personnalité et la beauté de Cécile de France nous fait penser à la manière dont Claire Denis filme Juliette Binoche. Récemment dans Amour et acharnement, et quelques années avant dans Un beau soleil intérieur.
Juliette Binoche est une comédienne avec laquelle j’aimerais vraiment collaborer. Il y a quelque chose de très excitant à travailler avec une comédienne que l’on a beaucoup vue, que les gens ont beaucoup vue, car cela suscite l’envie de la filmer différemment. De la même façon que je choisis des comédiens qui ne sont pas professionnels, je choisis un acteur pour ce qu’il dégage par nature. C’est presque plus la personne que l’acteur qui m’intéresse. Pour en revenir à Cécile, à partir du moment où elle accepte le rôle, le film c’est elle, ou plutôt le film la scrute. J’aime les films qui s’attardent sur le comédien. Au cinéma je suis frustrée quand le scénario prend le pas et que les comédiens ne sont que les vaisseaux du scénario, même si cela donne de très bons films.
Le film est court (1H35), très resserré, ce qui contribue à l’intensité de cette passion passagère. Dans quelle mesure cette dimension résulte de l’écriture et surtout du montage ?
Cela résulte de plusieurs paramètres, du scénario, de la durée du tournage qui a été assez courte. C’est un film assez peu bavard. quand j’écris des dialogues je vais à l’essentiel, je n’aime pas que les choses soient dites deux fois. Je recherche l’économie de mots. En ce qui concerne le montage, il y a très peu de scènes coupées.
Cécile de France :
Évidemment, pour un acteur tous les rôles nécessitent un travail important en amont. Cependant on a l’impression que le personnage de Chiara demande encore plus d’investissement. Au niveau physique notamment. Vous avez dû vous adapter aux exigences d’un métier éprouvant. En vous voyant œuvrer, on a l’impression que votre gestuelle, voire même votre corps, sont forgés par les exigences du métier. Quelle préparation avez-vous dû faire ?
Oui, je savais, car Héloïse m’avait prévenue que j’allais devoir reproduire les vrais gestes du métier. C’est une profession très éprouvante, je me suis donc préparée physiquement. J’ai fait de la musculation, je me suis préparée au niveau cardiaque, je me suis musclée. Comme il y avait une scène où Félix et moi devions plonger dans l’eau et que le tournage s’est déroulé au mois d’avril, je me suis préparée à cela en prenant des douches froides. Une douche froide tous les matins, c’est génial. Nous interprétons des pêcheurs. Pour que nos gestes soient réalistes j’ai fait, avec Grégoire Monsaingeon, une préparation d’une semaine sur les techniques du métier. On s’est blessé pendant cette préparation, rien de grave, heureusement.
Félix Lefebvre :
Une des grandes qualités du film se trouve dans la singularité des deux passions amoureuses, et donc dans la psychologie des personnages. On est loin des clichés d’un amour du jeune homme qui vit sa première grande passion. Quels ont été vos apports dans la caractérisation du personnage, dans son écriture ?
Non, c’était écrit comme ça. Ce qui m’a plu le plus dans ce personnage de Maxence c’est sa richesse. Au premier abord, on peut croire qu’il s’agit d’un charmeur, mais c’est loin de n’être que ça. On se rend vite compte que c’est un garçon très profond, que son amour pour Chiara est très fort. Avec Cécile et Héloïse, j’ai énormément travaillé pour développer toutes les nuances de Maxence. Le soir après le tournage, on se donnait le temps pour prendre un verre, et là Héloïse pouvait me dire, dans la scène que nous venons de tourner on a vu cet aspect du dimension, dans la prochaine scène qu’on tournera la semaine prochaine, c’est une autre facette qu’il faudra exprimer. Le personnage évolue au cours du film.
Cécile :
Votre personnage connaît deux histoires d’amour. Une complicité très forte se noue avec les deux hommes. Avez-vous travaillé d’une façon spécifique avec chacun des acteurs ?
Non, les situations sont déjà écrites avec une grande précision. Héloïse est une véritable chorégraphe, je n’ai plus qu’à me laisser guider. C’est un véritable plaisir.
Cécile :
La caméra est souvent très proche de vous, on ressent une véritable affection, de l’admiration même de la part d’Héloïse Pelloquet. Vous avez dû être très touchée ? Cela vous a encouragé à vous livrer davantage, à exprimer plus intensément votre sensibilité ?
Dans les trois courts métrages d’Héloïse que j’avais vus, ça se voit. La façon dont elle filme Imane Laurence m’a énormément touchée. La façon dont Héloïse irradie Imane est incroyable, c’est Augustin qui est derrière la caméra (comme pour La passagère). Je me suis dit que j’aimerai tant qu’une réalisatrice me filme comme ça. Quand on est actrice on a envie d’être filmée ainsi. Évidemment, être acteur c’est se livrer, et quand on a une telle confiance en la réalisatrice c’est un encouragement supplémentaire. Augustin et Héloïse possèdent une grande complicité entre eux, ils ont fait La Fémis ensemble, ils n’ont pas besoin de beaucoup se parler pour obtenir le meilleur de nous. Héloïse nous dirigent avec une telle douceur, une telle bienveillance, on travaille dans un véritable petit cocon.
Félix :
Dans le cinéma on pourrait avoir tendance à ranger des acteurs dans des cases. Vous êtes jeune, donc les rôles promis sont souvent de cette catégorie. Cependant, que ce soit dans Eté 85 et encore plus dans La passagère vos personnages sont loin d’être construits sur ce moule. Je pense notamment à la façon de vous exprimer, de vous mouvoir. Ce sont des aspects que vous travaillez pour nourrir vos personnages, les singulariser, et imposer votre singularité ?
On a jamais totalement conscience de ce que l’on dégage. Après, oui, moi ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est de ne jamais refaire deux fois la même chose. Je vais donc rechercher des rôles qui me le permettent. Pour le personnage de Maxence, ce n’était pas simplement un amoureux que je cherchais à incarner, mais un homme qui ne ressemble à aucun autre. Cécile : Félix possède une maturité que peu d’acteurs de son âge possède. Il m’impressionne car il a une façon de d’approprier son métier d’une manière saine et sereine.
Cécile :
Il y a plusieurs scènes de rapports physiques. Elles sont importantes au niveau humain, psychologique. On perçoit des émotions différentes chez chacun des amants. Traduisant ainsi une libération progressive, une prise de confiance en soi, en l’autre. Est ce comme ça que vous avez perçu ces scènes ?
Oui, tout à fait .On voit tout de suite que dans le scénario ces scènes ne vont pas être tournées comme dans un film traditionnel. En général, il est noté dans le scénario : « Ils font l’amour », et le jour de tournage les acteurs se « débrouillent ». Dans La passagère, Il s’agit de traduire toute la passion que vivent les deux amants. Héloïse a voulu que les spectateurs vibrent avec eux. C’est ce qui est beau.
Entretiens réalisés le jeudi 1er décembre sur la péniche Rosa Bonheur sur Seine. Un grand merci à Marie Queysanne et à Samuel (attachés de presse).
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