Il reste du jambon ?

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Pour son premier film, Anne Depetrini met la main à la patte en ayant le courage de traiter de la mixité sur le ton de la comédie. Mais un bon thème ne fait pas forcément un bon film… Dommage!

Lorsque Justine Lacroix, charmante journaliste télé cantonnée à la rubrique « chiens écrasés » rencontre un séduisant chirurgien urgentiste, c’est tout de suite le coup de foudre… Et le début d’une grande histoire d’amour. La jolie blonde parisienne et le grand brun de Nanterre deviennent vite inséparables, mais il y’a juste un petit détail que Justine a oublié de prendre en compte : l’homme qu’elle aime est… Arabe. Enfin « français issu de l’immigration ». Un détail pour Justine et Djalil, mais pas pour leurs familles respectives, les Lacroix et les Boudaoud…

Il reste du jambon ? est une comédie romantique qui a le mérite de parler d’un sujet trop peu traité en France : les couples mixtes (sur le même thème, il y eut surtout  Mauvaise Foi  de Roschdy Zem en 2006, mettant en avant un couple juif/musulman). La scénariste/réalisatrice Anne Depetrini a le courage de traité ce thème plutôt difficile (encore plus avec l’actualité récente) et rare dans le cinéma français sur le ton de l’humour décalé et de la légèreté. Le film commence d’ailleurs bien. Très drôle, chaque scène fonctionne à merveille, emmenée par un duo d’acteur plutôt convaincant et touchant (Ramzy Bédia dans le rôle de Djalil et Anne Marivin dans le rôle de Justine), arrivant à faire rire et déranger en même temps, comme lorsque Justine, excédée par le fait que Djalil ramène tout à sa famille, ses origines ou sa religion, lui jette au visage  « tu me rends raciste…sale bougnoule ! »

Mais malgré cela, le film perd très vite de son intérêt, à cause notamment d’un scénario convenu et d’une fin sans saveur. Quand est-ce que l’on comprendra en France qu’un bon scénario est la base pour faire un bon film, qu’il ne suffit pas de miser sur quelques scènes réussies pour faire tenir une histoire ? Histoire elle-même plombée par des erreurs de casting, notamment Arnaud Henriet, qui joue Mathieu, le meilleur ami de Djalil, un homme d’une trentaine d’année avec un début de calvitie, les tempes grisonnantes, mais se comportant comme un ado prépubère…Manque de crédibilité totale ! L’autre gros problème du film est son coté naïf, les personnages évoluant dans le merveilleux monde de « Mickey » où préjugés et problèmes s’effacent en un coup de baguette magique.

Anne Depétrini dit elle-même : « J’avais par-dessus tout envie de déjouer les clichés que véhicule la communauté musulman en France ». Malheureusement, elle tombe elle aussi dans ces énormes clichés. Le meilleur exemple étant la scène où le personnage de Ramzy cache un mouton dans la baignoire (sachant qu’il vit en plein Paris), dans le but de l’égorger pour célébrer l’Aïd (fête musulman marquant la fin du jeune du ramadan). Cliché très répandu, qui fit notamment polémique lorsque Nicolas Sarkozy s’y appuya dans une émission de télévision, lors de la campagne de 2007 : « …Et quand on aime la France, on la respecte. On respecte ses règles… on n’égorge pas le mouton dans son appartement et respecte les règles républicaines ». Sachant que si les musulmans pratiquent effectivement ce sacrifice religieux, la plupart sont loin d’égorger des moutons dans leur salle de bain.

Ce film montre une fois de plus, si besoin était, que les comédies françaises ont encore un train de retard sur les anglo-saxonnes, sachant que sur le même sujet, des films comme Devine qui vient diner ce soir ou encore  Black/white plus récemment furent ô combien plus pertinents. Bien que le cinéma français se revendique depuis toujours comme « ancré dans le réel et le social », on constate surtout qu’il existe encore trop peu de films parlant de mixité, alors qu’il y a de plus en plus de metissage en France. L’industrie du cinéma français serait-elle comme nos élites (politiques, financierès, mediatiques…), deconnectée de la réalité d’une majorité de français? Si ce n’est pas le cas, pourquoi produit-elle alors un tas de films sans intêret, centrés sur les problémes existentiels de trentainaires dont tout le monde se fout royalement, au détriment de sujet plus ouverts et de thémes plus profonds ?… Peut-être tout simplement par ce que le cinéma français a perdu l’essence même de ce qui l’a animé jadis : son courage (à de rares exceptions près).

Pour conclure sur une note plus enthousiaste, méditons-donc, si vous le voulez bien, sur cette citation de Gandhi : « Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur. »

Le Joker

Titre original : Il reste du jambon?

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Durée : 90 mn


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