Kore-Eda Hirokazu revient plus enjoué qu´à l´accoutumée avec « I Wish », fable enfantine mutine qui voit juste.
Autant le dire tout de suite : le nouveau Kore-Eda n’est pas de ces films qui broient le cœur auxquels le cinéaste japonais nous avait habitués. Là où After Life, Nobody Knows ou Still Walking, pour ne citer qu’eux, faisaient de la mort, du deuil et de l’abandon leur fil conducteur, son I Wish (curieusement sous-titré Nos vœux secrets) semble a priori plus léger, moins travaillé par le versant délétère de la vie. On y suit la trajectoire de deux jeunes frères d’une dizaine d’années, séparés par le divorce de leurs parents : l’un vit avec le père, guitariste rock adulescent, au nord de l’île de Kyushu ; l’autre a rejoint avec sa mère le foyer des grands-parents à l’extrême sud de la même île. Lorsqu’un tout nouveau TGV finit enfin par relier les deux régions, les frères complices organisent une expédition clandestine avec un groupe d’amis pour se retrouver au point de croisement des trains, où un miracle, dit-on, peut se produire.
C’est autour de cette croyance enfantine, celle de la possibilité d’une reconstitution de la cellule familiale à la faveur d’une étincelle magique, que Kore-Eda bâtit son histoire. L’argument semble mince, c’est pourtant le point d’entrée d’une minutieuse observation des chimères de l’enfance, aussi juste que finalement exaltante. La raison en est toute simple : le cinéma de Kore-Eda, comme à son habitude, est à hauteur d’homme, et surtout, à hauteur de ses personnages. Ici, c’est donc au niveau des enfants que se place la caméra : qu’un gamin se prenne à croire dur comme fer que la rencontre des deux trains fera ressusciter le chien qu’il trimballe dans son sac à dos, et l’on se met à espérer que la bête revienne effectivement à la vie. Qu’un autre se fasse interroger par un policier, et l’on tremble à l’idée que la virée improvisée ne tombe à l’eau.
Qu’I Wish soit clairement marqué du sceau de l’insouciance n’empêche pas un œil parfois inquiet sur le cours des choses, notamment quand la nature, omniprésente chez Kore-Eda, s’en mêle. Le film s’ouvre ainsi sur le volcan Sakurajima crachant des cendres à proximité directe de la ville où vit le frère aîné, Koichi, qui s’étonne que personne ne s’en préoccupe. Plus tard, le benjamin, Ryunosuke, fera de l’activité du même volcan un dessin apocalyptique, persuadé qu’une évacuation liée à l’éruption rendrait inévitables les retrouvailles de ses parents. Si le lien n’est pas évident, on pense forcément à la catastrophe de Fukushima, qui a laissé un Japon traumatisé et désormais conscient dans sa chair de l’imprévisibilité des éléments naturels. Rien d’aussi tragique ici, mais on sent Kore-Eda soucieux d’un certain individualisme nippon bien installé, mis à mal par les événements de Mars 2011.
Cet individualisme, c’est ici celui des parents, trop occupés à régler leurs névroses pour prendre en compte le bien-être des plus jeunes. En cela, I Wish rejoint par instant la trame de Nobody Knows, en s’attachant au parcours d’enfants livrés à eux-mêmes. Même débrouillardise obligée, même instinct de survie : ce sont bien eux qui mènent la barque, avec leurs vœux secrets, les rêves échafaudés sous la couette, et l’optimisme de facto de ceux qui n’ont pas encore trop vécu. Si I Wish n’a pas la même force de frappe que les précédents Kore-Eda, il émeut plus progressivement en avançant au rythme de ses protagonistes. Joyeusement intergénérationnel, le film remet d’un coup tout le monde sur le même plan et rend hommage aux aînés : si les parents ne comprennent rien, on peut toujours compter sur les grands-parents. Ils savent l’impatience d’être grand, eux qui ne demandent qu’à retomber en enfance.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…