H-B-O. L’apparition quasi divine se fait toujours sur fond d’image brouillée. Comme pour signifier une renaissance. Chaque série de la Home Box Office est un renouveau. Une source énergisante dans l’univers fictionnel. Selon les affinités ou les habitudes, un générique s’enclenche dans les cerveaux. Que ce soit le rythme désinvolte de Sex and the city ou la gravité des gouttelettes musicales de Six feet under, le logo HBO est familier du sériphile. Moteur de l’innovation sérielle, la HBO est depuis quelques années concurrencée par une autre audacieuse, la chaîne Showtime (Weeds, Dexter, Californication, The L word…). Chronique d’un combat engagé…
It’s not TV. It’s HBO
La liste est longue alors autant être clair : HBO a révolutionné le monde de la série. Des sujets les plus inabordés : violence mafieuse ou pénitentiaire, sexualité, mort, drogue (faut-il en rajouter ?), à des réalisations parfaitement maîtrisées, la chaîne a trouvé sa place parce qu’elle a trouvé le ton. Cynique, décomplexé et honnête. S’installer devant l’une de ces productions c’est répondre à une invitation : réfléchir sur les tabous sociaux. Dream On donne le coup d’envoi en 1990. Série à la fois déjantée et déclaration d’amour à la télévision et au cinéma, son originalité intervient lors des flashes télévisuels illustrant les pensées du héros Martin Tupper. Depuis, la chaîne est spécialisée dans les sujets brûlants. Sa particularité « à péage », qui signifie que chacun des programmes qu’elle propose est payant, n’est pas indifférente à sa politique éditoriale novatrice. Cousine inspiratrice de notre Canal + national, HBO ose car elle peut se le permettre. Les programmes cryptés sont inaccessibles au plus grand nombre certes, mais bénéficient dès lors de l’attention d’un public averti et volontaire. Quant à la contrainte commerciale de l’audimat : envolée ! La chaîne privée n’est financée non pas par la publicité, mais principalement par ses abonnés. Dans de telles conditions, difficile de résister à l’appel de la liberté créative…
Un quatuor de choc a ouvert le bal à la fin des années 90, début 2000. Oz en tête (1997), suivi de Sex and the city (1998), des Soprano (1999) et de Six feet under (2001). Le tout en cinq petites années. Autant dire que le festival d’ouverture fut explosif ! La sexualité féminine se débride grâce aux quatre new-yorkaises assoiffées d’expériences folles. La violence, insupportable et cruelle chez Oz, principalement psychologique chez Tony, le héros mafieux des Soprano, se fraye un chemin déminé sur les écrans. Les Fisher de Six feet under, eux, évoluent dans la froideur d’un monde mortuaire. Tous autant qu’ils sont, les personnages made in HBO sont minutieusement construits. La complexité et la profondeur de Tony Soprano sont d’un rare aboutissement. Tout comme pour Nate Fisher, dont le malaise constant ne sait que trop bien réveiller le doute qui jonche nos âmes. Oz, qui fait éclater le mythe du melting pot et de l’entente sociale, surprend certes par son inhumanité, mais surtout par l’originalité de son concept : interroger la société dans son ensemble, en recréant un microcosme à huis clos. En 2002, débarque l’agent Mc Nulty, flic idéaliste qui place tout un quartier de Baltimore Sur Ecoute (titre français de The Wire) pour faire tomber plusieurs barons de la drogue. Une fois encore, entre suspense, déploiement narratif et réalisme psychologique, HBO surprend sur un nouveau terrain de jeu.
Pendant ce temps du côté de Showtime…
Etre privatisé pour pouvoir oser. Showtime a bien retenu la leçon. Si HBO s’était jusqu’alors octroyée une part de tabous copieuse, sa concurrente câblée « à péage », ne s’est pas dégonflée. Au subversif Sex and the city, elle réplique en 2000, avec les révolutionnaires Queer as folk puis The L word (2004), premières séries consacrées entièrement à des protagonistes homosexuels. Et, histoire de pousser d’un cran encore la crudité sexuelle, le dernier né en la matière chez Showtime se nomme Californication. La sex addicted Samantha Jones trouve enfin un homologue à sa taille, en la personne du romancier dépressif Hank Moody (le ressuscité David Duchovny). Mais le sexe n’est pas le seul fer de lance de la chaîne. Dans le genre héroïne affranchie et complexe, Showtime a élu son égérie : Nancy Botwin de Weeds. Mère de famille et veuve, elle trouve en la marijuana et les space cakes le kit de survie qui va lui permettre d’élever ses deux enfants. En 2003, jugeant sûrement que la mort allait si bien à la télévision avec Six feet under (Six pieds sous terre), Dead like me s’annonce insolite mais pas aussi endurante que le chef-d’œuvre d’Alan Ball pour la HBO (elle a été interrompue au bout de deux saisons). Le jour où Georgia, adolescente, trouve la mort, une carrière de faucheuse s’ouvre à elle. La série cynico-comique dévoile le travail de toute une administration funèbre, aussi débordée qu’humaine.
En 2006, Showtime continue de frapper fort. C’est l’arrivée de Dexter, tueur en série nocturne et expert scientifique diurne. Sexy autant qu’inquiétant, attachant autant qu’énigmatique, le rôle revient en prime à un visage familier : celui de Micheal C. Hall, qui n’est autre que le David Fisher de Six Feet Under. A noter que ses victimes sont elles-mêmes de dangereux tueurs et que Dexter se pose dès lors en vengeur secret. Un peu plus tôt la même année, HBO lance la comédie Big Love, centrée sur la famille d’un polygame mormon de l’Utah, dont le succès est encourageant mais pas exceptionnel. Depuis 2005 également, Showtime peut se targuer d’innover cruellement, en diffusant le recueil horrifique Masters of Horror, qui comme son nom l’indique, réunit les réalisateurs Maîtres de l’horreur, tels que Dario Argento ou John Carpenter.
Les génériques : des indices qui ne trompent pas
En matière d’innovation, les génériques sont devenus des révélateurs souvent pertinents, des créations artistiques en soi. Les séries « new generation » ne se contentent plus de mixer quelques scènes issues des épisodes avec de la musique. Une fois de plus, la HBO n’est pas étrangère à cette révolution. L’introduction de l’atmosphère chez Six feet under se veut explicite. L’itinéraire d’un corps vers le cimetière annonce l’essence professionnelle des Fisher. Alan Ball, le créateur de la série, a tenu à sculpter la mise en bouche. Essentielle pour certifier l’identité du programme, elle l’est surtout pour fidéliser les téléspectateurs. Les images symboliques, calibrées à la seconde près, fusionnent parfaitement avec la mélodie vaporeuse composée par Thomas Newman.
Depuis quelques temps, la tendance inaugurée par Six feet under se répand. La confection minutieuse du générique est désormais de rigueur. La Digital Kitchen, l’une des agences de design les plus créatives, s’est d’abord vue confier le fameux générique de Six feet under. Entre animations elliptiques (la fleur qui fâne) et gros plans allusifs, la série s’octroie une identité spécifique et efficace. Showtime n’a pas résisté bien longtemps avant de faire appel au même studio pour le générique de Dexter. Rasage de près et déjeuner à l’orange sanguine marquent l’entame de la journée (et de l’épisode) du serial killer. Délicieusement effrayant… Le réseau de diffusion FX (père de The Shield, Nip/Tuck, Damages…) y a également recouru pour ses séries Nip/Tuck et Rescue me. Autant dire que quand HBO fait des choix, ceux-ci sont toujours surveillés, et pourquoi pas imités ailleurs… Desperate Housewives, diffusée sur ABC et créée par Marc Cherry, a bénéficié de la même vague de création. A travers les âges, depuis le jardin d’Adam et Eve jusqu’au Pop Art de Andy Warhol, l’histoire de l’art est superposée à celle de la femme. Construit à la manière d’un livre en relief, le générique de la série est rapidement devenu incontournable.
Autre particularité du générique HBO, la bande-son. Jazzy et malicieux, il rythme l’avancée de Sarah Jessica Parker dans les rues de New-York, métaphorisant l’introduction du « sex and the city ». Le son rock et la voix chaude des Alabama 3 accompagnent Tony Soprano au volant de sa voiture, tandis que la chanson blues/jazz « Way down is the hole » est interprétée par différents artistes (dont Tom Waits) selon les saisons de The Wire, dont le générique, assez long, décrit la mise sur écoute d’un quartier de Baltimore. Du côté de Showtime, le générique de Weeds traduit l’engagement politique de la série à travers celui de son refrain, Little Boxes de Malvina Reynolds. Californication, dans un tout autre registre, projette les vidéos amatrices de Hank Moody, en y ajoutant la tonalité rock d’une guitare électrique. ABC, pour sa part, a choisi les services de Danny Elfman, compositeur attitré de Tim Burton, pour le générique des Desperate Housewives.
To be continued…
Le soin apporté au générique n’est qu’un exemple des innovations dans les séries, ces dernières années. En précurseur, la HBO a influencé pleinement la mutation de tout un univers. La trame narrative, la réalisation (le choix d’utiliser une ou plusieurs caméras) ou encore le format, sériels, ont progressivement fait peau neuve sous l’impulsion de la HBO. La fin de la sixième saison des Soprano signe synchroniquement l’épuisement d’un genre. A l’heure où la concurrence se fait rude, le défi de la HBO est de repartir en quête de nouveaux concepts, capables de raviver la génération à venir.