Goltzius et la Compagnie du Pélican

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Cette réflexion provocatrice sur l’art, la mort et le sexe agacera certainement, mais ne laissera personne indifférent, tant l’art de Peter Greenaway s’exacerbe ici jusqu’à la caricature.

Les films de Peter Greenaway ne laissent personne indifférent, celui-ci encore moins. D’abord parce qu’il propose une lecture osée et carrément érotique de la Bible, tout en offrant une étude sur l’art pictural en une période d’incertitude culturelle qu’il qualifie lui-même de maniériste. Pour Greenaway, il n’y a rien sur terre de plus important qu’Eros et Thanatos, l’amour et la mort. Shakespeare a ajouté le pouvoir, mais ce dernier n’est qu’un avatar de l’union des deux précédents. De plus, l’érotisme et la mort sont les deux événements qui nous concernent tous : tout être humain est né de l’union entre un homme et une femme, et sa destinée le conduira fatalement à la mort.

Le film, tourné dans une gare de triage de Croatie, est censé se passer à la fin du XVIe siècle, époque artistique extrêmement riche et qui a su mettre en images à la fois la vie, mais aussi les mythologies de sa culture. Selon les producteurs, ce nouveau film de Peter Greenaway serait le deuxième volet d’un triptyque commencé par La Ronde de Nuit (2008), film sur l’œuvre de Rembrandt, autre peintre flamand. Le troisième film sera consacré à Eisenstein, autre grand visionnaire, le plus grand des cinéastes selon Greenaway lui-même.

Ici, le réalisateur, par le choix d’images très mises en scène, d’une lumière à peine sépia et de scènes chocs, s’emploie à faire revivre un artiste peu connu du XVIe siècle, Hendrik Goltzius, peintre et graveur d’œuvres érotiques. Celui-ci aimerait pouvoir ouvrir une imprimerie pour éditer des livres illustrés. Il s’en va demander de l’aide au Margrave d’Alsace en lui promettant de réaliser un beau livre sur l’Ancien Testament pour illustrer les contes érotiques qu’on y trouve. Pour l’allécher, il lui propose de mettre en scène lui-même ces histoires érotiques pour sa cour quelque peu voyeuse. C’est à ce spectacle que nous allons assister nous aussi, spectateurs du XXIe siècle, qui ressemblons trait pour trait à cette coterie. En effet, Goltzius en personne, interprété par le poète Ramsey Nasr, vient en contrepoint de la mise en scène nous expliquer, à la manière d’un critique de cinéma, que l’époque invente de nouveaux média. Force est de constater que c’est un peu la même chose que nous vivons de nos jours avec Internet, qui a favorisé la recrudescence et la revivification de l’érotisme et de la pornographie. Il faut bien écouter le début du film, en symbiose totale avec ce que Greenaway déclare dans le dossier de presse : « Je suis convaincu que chaque avancée dans les arts visuels, et Goltzius avait mis en place une technologie inédite au début du XVIIe siècle, s’accompagne de nouvelles pratiques érotiques. Quand les peintres ont eu des formats plus petits, on pouvait alors les loger dans des appartements privés pour des contemplations réservées. Les débuts de la photographie, du cinéma et d’Internet, toutes ces périodes ont été accompagnées de représentations érotiques qui sont de plus en plus vraisemblables et réalistes. »

Continuant en effet sa tâche d’observateur et d’admirateur de l’art, Greenaway propose ici un film scandaleux, tout autant que l’était par exemple Les demoiselles d’Avignon de Picasso au XXe siècle. Une vision de l’érotisme juif déposé dans la Bible par le biais de contes comme celui de Loth et ses filles, Adam et Eve, David et Bethsabée, Samson et Dalila, etc. On verra que chaque saynète sera illustrée live, parfois de façon crue et provocatrice – mais de nos jours, qui a peur de voir un sexe à l’écran ? Elle sera surtout prétexte à la mise en situation de perversions qui nous sont maintenant familières comme l’inceste, la prostitution, la pédophilie… La Bible en effet regorge de scènes érotiques, il suffisait de les débusquer, de les interpréter et de les mettre en scène. Il est certain que le spectateur sera surpris de voir ces scènes, pour certaines très connues, illustrées de cette manière, dans une sorte de théâtre de marionnettes extravagant et mortifère. En parlant de théâtre, il est intéressant aussi d’observer que la plupart des scènes jouées sont données comme des peintures, c’est-à-dire dans le cadre. Un élément qui n’est d’ailleurs pas étranger au cinéma, cet art que Greenaway a choisi en dépit de son amour pour la peinture et pour la musique, mais qui se présente en fait comme un medium artificiel. C’est pourquoi le cinéma de Greenaway apparaît si sophistiqué, mais aussi conceptuel puisqu’il pose justement la question du cadre, qui préside à toute forme artistique et se rit de la nature. Et il l’affirme : « Je joue sans cesse avec le spectateur. J’ai envie de jouer. »

Titre original : Goltzius and the Pelican Company

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Durée : 116 mn


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