Gen d’Hiroshima

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Avant « Le Tombeau des lucioles » , une des oeuvres les plus authentiques sur cette période sinistre du Japon.

Gen d’Hiroshima est une des œuvres les plus emblématiques du traumatisme de la bombe et de ses conséquences aux Japon. Le manga édité entre 1973 et 1985 est grandement autobiographique, l’auteur Keiji Nakazawa s’inspirant de son expérience familiale. Il perdit ainsi son père, sa grande sœur et son petit frère dans un incendie causé par l’explosion, subissant par la suite les privations et assistant aux horreurs causées par les radiations. Ce traumatisme marquera toute son œuvre de mangaka, placée sous le sceau politique et antimilitariste, notamment dans le classique que constitue Gen d’Hiroshima. Le manga naît au départ d’une demande de l’éditeur de la populaire revue Jump proposant à ses auteurs de raconter une histoire personnelle. Nakazawa proposera alors Je l’ai vu, récit court et première évocation de son expérience du bombardement.

L’enthousiasme suscité incitera son éditeur à lui réclamer une série qui sera donc Gen d’Hiroshima. La publication ne se fera pas sans heurts tant Nakazawa n’épargne rien dans la noirceur et l’œuvre quittera les pages de la populaire revue Weekly Shōnen Jump pour d’autres plus modestes (trois revues différentes de 1973 à 1985 en plus des volumes reliés) mais recueillera un vrai succès public et critique tout en attirant un lectorat plus adulte. Le cinéma va l’adapter sous la forme d’une trilogie réalisée par Tengo Yamada avec Hadashi no Gen en 1976, Hadashi no Gen: Namida no bakuhatsu en 1977 et Hadashi no Gen part 3: Hiroshima no tatakai en 1980. En 1983 c’est l’animation qui en offrira une transposition poignante produite par le studio Madhouse et réalisée par Mamoru Shinzaki. Le film se déleste grandement de la facette politique du manga dans les personnages et du contexte si ce n’est furtivement (la nature pacifiste du père de Gen et la possible inimitié qu’elle cause face au voisinage), pour privilégier le récit familial. On assiste ainsi au quotidien difficile de la famille Nakaoka en ces temps de guerre à Hiroshima. Les survols aériens des avions américains (qui semble épargner la ville par rapport au reste du pays pour n’effectuer que des passages de « reconnaissance ») et les privations diverses constituent des difficultés concrètes ou abstraites que semblent toujours se surmonter par la solidarité familiale. Le tempérament turbulent des deux frères Gen et Shinji (la fratrie est réduite par rapport au manga où Gen avait également deux grands frères) apporte une insouciance bienvenue, la sagesse du père et la tendresse de la mère créant un cocon bienveillant dans l’intime.

Chaque désagrément semble pouvoir se résoudre par cette solidarité familiale ce qui donnera son lot de moments vraiment touchants tel ce passage où Gen et Shinji iront pêcher/voler une carpe pour nourrir leur mère malade et la réaction de la « victime ». La mièvrerie est constamment évitée même quand la situation pourrait s’y prêter mais Mamoru Shinzaki a toujours le ton juste en privilégiant le point de vue enfantin : lorsque Shinji ira réclamer en douce les arrêtes du poisson que vient de manger sa mère, la narration ne s’attarde pas sur les larmes de celle-ci mais plutôt sur le savon musclé que passe Gen à son petit frère. Cette dimension bucolique ne peut cependant pas surmonter l’innommable quand surgit le bombardement du août 1945. La mise en scène de Mamoru Shinzaki s’était jusque-là faite efficace mais dans les standards télévisuels de l’époque, le savoir-faire de Madhouse en plus. Il signe pourtant un stupéfiant moment de cauchemar avec la scène de bombardements. Les couleurs désaturées du ciel où s’avance le bombardier, les silhouettes à peine esquissées des pilotes et le point de vue « divin » où s’agrandit le champignon atomique exprime le profond détachement des agresseurs. Du point de vue des habitants, c’est une apocalypse aux couleurs rougeoyantes où le souffle mortel déforme sans distinction les corps de femmes et enfants dans des tableaux cauchemardesques. Le réalisateur filme la scène dans un ralenti où les multiples points de vue expriment la stupéfaction et l’horreur de l’instant, un moment suspendu dont les ravages n’en finissent pas.

Cette abomination collective n’en devient que plus douloureuse quand elle est ramenée à l’intime et que Gen assiste impuissant à la mort de sa famille coincée dans la maison en flamme. Toute la douce caractérisation qui a précédé renforce encore l’impact émotionnel de cet instant déchirant. La dimension politique moins prégnante que dans le manga est néanmoins sous-jacente par la voix-off, la critique de l’impérialisme, de l’aveuglement des militaires et du nationalisme se laissant deviner à plusieurs reprises. C’est cette voix-off qui souligne le mutisme et le refus de reddition du régime, cause du second bombardement nucléaire à Nagasaki. Cette vision de japonais pleurant à la reddition tant attendue souligne également le degré de fanatisme atteint par la population, même après pareille épreuve. Le film ne nous épargne rien des phénomènes météorologiques (la pluie acide causée par les radiations), des images macabres dignes d’un récit d’horreur (les nuées de cadavres calcinés dans la ville, les irradiés et mutilés avançant plus morts que vif comme des zombies) et des conséquences physiologiques sanglantes de la bombe. Le héros Gen voit son enthousiasme constamment ramené à l’horreur ambiante, le possible renouveau étant toujours contrebalancé par un autre malheur – l’amitié avec un irradié profond débouchant sur une perte traumatisante filmée avec une belle sobriété par Shinzaki.

Si la conclusion nous ramène à une métaphore récurrente du manga et exprimée au début par le père (« Soyez comme ce blé, fort, même si vous vous faites piétiner… »), la frontière reste ténue entre abandon et espoir après un spectacle si douloureux. Même avec la simplification et la relative édulcoration, cette adaptation animée reste une œuvre intense et éprouvante qui ouvre la voie à des réussites futures comme Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata (1988) et le plus récent L’île de Giovanni de Mizuho Nishikubo (2013). Le film recevra le prestigieux Le prix Noburō Ōfuji en 1983 et connaîtra une suite toujours signée Mamoru Shinzaki en 1986.

Titre original : Hadashi no Gen

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Durée : 83 mn


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