Il faut savoir que le film est réalisé en 2010 (il mettra deux ans avant d’être distribué, et encore si mal). Réactif, dans la foulée de la révolution verte en Iran, on y sent l’urgence, la ferveur du témoignage en même temps que le désir d’y agréger une histoire individuelle. Entrevoir les drames d’un pays en plein chaos par le petit bout du déracinement, de l’individu éloigné, ne pas faire un film plaidoyer, mais illustrant, engagé dans sa forme.
Partant de l’observation que les outils web et communautaires permirent d’informer l’international des violences et des manifestations à Téhéran (les journalistes n’ayant plus le droit de travailler durant la période), David Dusa a utiliser cette matière visuelle incroyablement violente, car en partie réelle (images Youtube), pour l’insérer dans une romance parisienne.
Anahita (merveilleuse Alice Belaïdi) est larguée à Paris, accrochée à son ordinateur, en quête d’informations sur ses proches : elle tweete, et avec elle les images du film s’animent, revêtant les posts écrits par la jeune femme. Le réalisateur insère aussi les mots recherchés sur le web par les personnages, pour que l’acte d’information, la « recherche web » prenne part à la fiction. Une discussion de chat s’affiche plus tard, nous donnant le loisir de saisir, comme au temps du muet, une scène de séduction qui se joue hors-champ.
La rencontre entre l’exilée iranienne et un jeune français dépourvu de racines renforce encore le travail sur les contrastes en jeu dans le film. Jeune groom travaillant dans un hôtel, Gecko est surtout un danseur, arpentant les rues au son de sa musique intérieure, libre de ses mouvements, n’exprimant jamais mieux ses sentiments que quand il bouge. Les passages où il danse, nombreux, sont autant de respirations clipesques et énergiques, où l’intelligence du montage (et du gimmick musical) inscrivent le film dans l’urbanité, la vitalité du « street dancing », tout en grâce.
Autre contraste, celui du ressenti. Si les deux jeunes gens débutent une histoire d’amour, Anahita ne parvient jamais à s’arracher de la tête la peur pour ses proches, la culpabilité d’être elle-même hors de danger, le besoin d’informations. En découlent des flashs visuels, où les images de la révolution font irruption à l’écran, comme des images mentales incontrôlables. L’assemblage est saisissant, strates géographiques superposées de la ville de Paris, avec la rue Rivoli, Châtelet plein de touristes affairés au shopping, avec celles de Téhéran, envahis de manifestants ensanglantés. Ainsi s’enchaînent plans de Paris, beige et calme, avec en son off les hurlements des iraniens subissant les représailles de la Police ; l’effet choc fonctionne, faisant le grand écart entre deux réalités, simultanées mais ô combien lointaines.
Le film est ainsi du début à la fin une construction ambitieuse, dont le montage habile permet une cohérence narrative claire, réussie. Jamais informatif ou militant, Fleurs du mal se contente d’orienter le regard, de forcer la curiosité vers un pays dont on ignore beaucoup et en un même temps anticipe le rôle décisif du web lors des révolutions arabes de 2011.