Cette fougue, cette apparente liberté suffisent-elles à en faire un grand film ? Non bien sûr, les défauts n’y manquant pas, notamment ce choix trop manifeste de ne pas trancher entre sérieux et facétie, premier degré de la fiction (un homme doit remettre une toile du Caravage à des malfrats new-yorkais) et de la réalisation (grande sensualité du filmage, captant aussi bien une attraction sexuelle que le geste de peindre) et ironie plus ou moins lisible (raccord sur le héros dans sa chambre, la main dans le caleçon, après qu’il a dîné avec une jeune fille sans conclure ; le même parlant affaires au téléphone tandis qu’on le devine en pleine grosse commission…). Ce déséquilibre empêche hélas de totalement se laisser embarquer dans un film où peuvent être décelés par moment une possible influence ferrarienne (mouvance New Rose Hôtel) ou de palmienne (tendance Femme fatale), sans qu’il soit certain de ne pas faire fausse route dans cette quête obstinée d’ascendance.
Cette œuvre bien étrange parvient à séduire avant tout par ses propres moyens, notamment par une constante bifurcation entre réalisme, enregistrement nu d’une certaine ambiance parisienne ou new-yorkaise et aspirations picturales. La peinture est son sujet, le moteur parfois très faible de son scénario de film noir lo-fi, mais c’est surtout en tant qu’horizon esthétique qu’elle marque Eyes find eyes. Le film aspire volontiers au chromatisme, au contraste, sinon à la confusion des matières (une couche de peinture vaut une giclée de sang, un travelling filé dessine une atmosphère tel un coup de pinceau). Ces changements d’humeur sont à la fois une identité et un vrai danger, fragilisant chaque plan, chaque scène, soumettant sans cesse le film au risque de la pose arty. Mais c’est précisément de cette insécurité que résulte la réelle grâce audiovisuelle d’Eyes find eyes, drôle de chose, d’évidence très heureuse de trouver sa place sur grand écran, mais toute disposée malgré tout à aller se faire voir ailleurs. Œil pour œil…