Exposition Jacques Tati : Deux temps, trois mouvements

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L´exposition Jacques Tati à la Cinémathèque française conçue par Macha Makaïeff et Stéphane Goudet est un magma de stimuli autant visuels que sonores. Elle est à l´image des films de Tati : foisonnante et cacophonique.

Après avoir emprunté le long couloir de PlayTime et passé la porte vitrée du Royal Garden (celle-là même qui éclate en mille morceaux dans le film), le visiteur remonte le fil de la création selon Tati, dans une avalanche de sons et d’images. L’exposition propose un parcours éclaté. D’abord, les films de la modernité et la couleur. A l’image de la maison des Arpel, l’espace dédié à Mon oncle, PlayTime, et Trafic fonctionne en vases communicants, et ce, par différents orifices, barreaux et autres jeux de transparence entre l’ouvert et le fermé, le montré et le caché. Des objets anthologiques y sont disposés selon les films auxquels ils se réfèrent. Il n’y a pas de doute, nous sommes bien chez Tati : par ici, le balai aux phares frontaux et la poubelle en forme de colonne de PlayTime et par là, les fameux sièges coquetiers de Mon oncle. On papillonne de l’univers d’un film à un autre avec beaucoup de curiosité.

L’accrochage choisi par Macha Makaïeff démontre la dimension « spongieuse » des films de Tati, qui captait autant qu’il détournait l’environnement artistique, architectural et sociétal de l’époque durant laquelle il les a réalisés. Pas étonnant donc de voir une Compression de César côtoyer la séquence de l’accident dans Trafic. Plus loin, le snack de PlayTime renvoie au célèbre tableau Nighthawks d’Edward Hopper et le bâtiment de la Villa Noailles de Hyères à la maison des Arpel. Les films de Tati pointent la place de plus en plus importante que prend la ville au détriment de la campagne et les conséquences sur le paysage. Les dessins de Sempé ou de Saul Steinberg soulignent bien la standardisation des bâtiments et des modes de vie (et l’influence de l’American way of life, d’où l’omniprésence de l’anglais dans les films de Tati comme dans l’exposition). Ils résonnent ici parfaitement avec les grandes affiches de PlayTime montrant le même immeuble froid et rigide projeté dans différents pays.
Macha Makaïeff joue finement des analogies formelles avec l’art moderne mais dresse également un pont avec les œuvres contemporaines telles Crash de David Cronenberg ou une installation hommage de Pierrick Sorin déguisé en Hulot, intitulée Petit travelling printanier (tatatititi). Le rayonnement de l’œuvre de Tati est sans frontière géographique ou temporelle, on le constate d’autant plus en écoutant les témoignages de Michel Gondry, Wes Anderson ou David Lynch. Par ailleurs, de nombreux carnets de notes, des costumes, des croquis préparatoires de Jacques Lagrange ou de Pierre Etaix, ou l’arbre généalogique ainsi que de nombreuses photographies de la famille Tatischeff, documentent précieusement l’univers cinématographique de Tati. 

 
 
 

Photo : Stéphane Dabrowski
 
 
Stéphane Goudet, commissaire de l’exposition, a pensé aux néophytes qui viendront visiter l’exposition en leur proposant un décryptage très drôle de l’art de Tati, à travers douze écrans diffusant une même bande son mais des images différentes. On y découvre des publicités politiquement incorrectes et particulièrement savoureuses, tournées par Tati pour des yaourts allégés et des analyses de séquences lumineuses. Tandis que les leçons du professeur Goudet perturbent par la démultiplication de l’image, Macha Makaïeff trouble le visiteur par le son. En boucle, les séquences sonores d’un carambolage, d’un téléphone qui sonne ou d’un accordéon soufflant un air de musette, viennent ponctuer la visite, le tout dans une ambiance de joyeux capharnaüm. L’exposition est une véritable expérience sensorielle telle que Tati la concevait dans ses films, où les oreilles et les yeux sont pareillement mis à contribution. Le son vient littéralement contaminer l’espace de la Cinémathèque et ce, jusque dans les ascenseurs. Seul le Mausolée reste silencieux. Construit à la manière d’un cabinet de curiosités avec ses nombreuses vitrines, il est dédié aux accessoires fétiches de Tati à tout jamais momifié en Hulot. A la surface des bandelettes ne restent que les signes distinctifs de cette "vélléité d’être" : le couvre-chef de Tatischeff, son incontournable pipe et son nœud papillon.

Plus loin, dans la dernière pièce, le visiteur passe de la couleur des derniers films au noir et blanc des débuts. On retrouve alors les cabines de plage des Vacances de M. Hulot ou le vélo de François dans Jour de fête dressé sur un carrousel en action. Là, sont projetées des images inédites d’une scène coupée au montage des Vacances de M. Hulot dans laquelle Tati jette sa raquette dans les filets et les premières images de L’homme au lapin blanc, adaptation d’un scénario de Jacques Tati – L’illusionniste en film d’animation par Sylvain Chomet, qui sortira bientôt dans les salles.

Enfin, l’exposition revient sur les débuts de Tati au music-hall et interroge la place de son œuvre dans l’histoire du burlesque, parmi les Mack Senett, W.C Fields et surtout Buster Keaton, qui ont incontestablement nourri son art. Et même si ses successeurs ne sont pas nombreux, des entretiens et  lettres de cinéastes tels que Truffaut ou Pasolini redisent toute l’influence que Jacques Tati exerça sur leur travail.

Macha Makaïeff et Stéphane Goudet nous livrent ici un parcours ludique original, une immersion récréative parfaitement réussie dans le monde de Tati. « Mon film commence quand vous quittez la salle » disait Tati. En quittant l’exposition, nous prend l’envie subite de revoir tous les films.

Exposition à la Cinémathèque française, du 8 avril au 2 août 2009.

Photo : Stéphane Dabrowski


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