Et puis les touristes

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Robert Thaleim nous livre une fiction parfois proche du documentaire, sobre et lumineuse, sur le difficile devoir de mémoire à Auschwitz. Une approche personnelle et subtile.

S’inspirant de sa propre expérience, le cinéaste raconte le service civil d’un jeune Allemand à la section pédagogique du mémorial d’Auschwitz.

La mise en scène permet de pénétrer dans ce lieu en même temps que le protagoniste et d’éprouver comme lui petit à petit son caractère très particulier. Dès son arrivée, Sven cherche sa place et son utilité dans ce lieu de mémoire et de réflexion, de souffrance passée et de vie présente. Il assiste à l’afflux des visiteurs, parcourt les salles du musée et les bâtiments d’Auschwitz, semblant ne devoir être là que par sa présence. Au fil des mois, il comprend l’importance de cette présence, et lui donne un sens au contact âpre du vieux Krzeminski, survivant et témoin des crimes nazis.

Le point de vue adopté par le scénario est celui des générations d’aujourd’hui, de notre situation à tous : le monde contemporain face à la Shoah. Il nous implique directement, en nous représentant face à ce qui eut lieu.

Le film de Robert Thalheim est traversé de bout en bout par l’étrangéité de la ville polonaise d’Oswiecim. A la fois ville et symbole, figée et dynamique, celle-ci renvoie simultanément à la vie et à la mort, dans une coexistence douloureuse et presque impossible. La quête de sens et le poids de l’humain frappent d’emblée dans un lieu marqué au fer de l’insensée barbarie. La ville est chargée d’une consistance qui, parce que la mémoire doit toujours affleurer, lui confère une force propre à ensevelir les vivants. Et pourtant, des maisons et des jardins ont fleuri en lieu et place des camps, et leurs habitants s’épanouissent aussi curieusement que naturellement parmi les fantômes, ne pouvant à la fois ni cesser de se souvenir, ni cesser d’oublier.

Elever un monument aux morts semble une manière de rendre la parole à ceux que l’on ne peut laisser muets, de redonner existence à ceux qui en furent dépossédés.

La ville d’Oswiecim touche au fond à ce qu’il y a de plus humain : l’humain confronté à l’inhumanité, l’homme retrouvant son humanité et devant, pour cela, se souvenir de son inhumanité, accomplissant le difficile devoir de ne pas oublier. Silence qu’impose la mort, indécence à montrer la souffrance et à la regarder, nécessité de rendre parole et dignité, ce sont tous ces sentiments diffus, parce que hautement sensibles et proches du désarroi, que donne à éprouver Et puis les touristes.

Le choix du métrage est de montrer la ville telle qu’elle, sans accumulation de documents historiques, préférant la suggestion à la surcharge iconographique, explicative ou émotive. Juste la présence de la ville, la parole du vieux Krzeminski et le cheminement de Sven. La linéarité de l’histoire et des plans permet à la complexité de se laisser appréhender avec douceur, aux sentiments d’advenir avec une grande liberté et une certaine pudeur. Nous sommes à notre tour traversés par la réflexion et les impressions dans cette ville hantée, qui redonne corps à ce qui fut démembré au travers de son musée.

Mais comment accomplir ce devoir de mémoire ?

Et puis les touristes met en évidence les paradoxes et un malaise persistant et incontournable. Les valises des visiteurs débarquant chaque jour en foule au mémorial d’Auschwitz font inévitablement écho à celles des Juifs pour lesquels le voyage s’arrêta là. Le flot des cars et le « tourisme » de masse (peut-on vraiment parler de tourisme ?) font sourciller dans un lieu qui fut voué à l’extermination en masse. L’implantation d’une usine chimique fait inéluctablement froid dans le dos.

Le film souligne également la différence entre institution et humanité du survivant. L’humanité de celui qui survécut n’est-elle pas plus forte et plus importante que tout ? Et il y a sans doute autant de sens dans l’obstination du vieux Krzeminski à réparer les valises des déportés que dans la volonté des autorités du musée à les exposer intactes.

Tout la particularité du métrage est de poser la problématique à partir de ses personnages principaux. Le scénario ne s’oriente pas vers une présentation classique et documentaliste du mémorial d’Auschwitz mais, au contraire, se construit autour d’histoires personnelles, celle de Sven tout d’abord, son expérience faite de rencontres et de découvertes, mais aussi celles d’une jeune Polonaise et de son frère nés à Oswiecim, celle du vieux Krzeminiski qui a choisi de rester pour témoigner et son lien difficile avec sa sœur ayant reconstruit sa vie. Dès lors, au lieu de nous confiner à l’intérieur du mémorial, les perspectives sont ouvertes, la trame narrative est alerte et vive, traversée de part en part d’un élan humain, avec une grande simplicité, un grand naturel.

Un film non pas exhaustif, mais très délicat. Qui ne propose pas une visite, mais une expérience de vie.

Titre original : Am Ende kommen Touristen

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Durée : 85 mn


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