Escalade

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Une belle idée mais un ratage trop visible, un film qu´on aimerait aimer mais qui gâche son potentiel. Reste une réalisatrice à suivre.

Il est toujours surprenant d’écouter le discours d’un réalisateur et finalement de voir soi-même tout autre chose dans le film. Pour Escalade, Charlotte Silvera (dont on se souvient de C’est la tangente que je préfère en 1998) dit vouloir montrer que la violence des jeunes n’est pas le seul fait des banlieues dites sensibles, mais produite elle-même par la société. En adaptant la pièce Chère Elena Sergueievna de Ludmilla Razoumovskaïa, elle met en scène quatre lycéens issus de familles aisées qui, au lendemain des épreuves du bac, prennent en otage la proviseure de leur lycée pour s’assurer les résultats nécessaires à une carrière écrite d’avance. Le début du film vient appuyer le contraste entre une violence « médiatique » hors champ (celle des émeutes et des casseurs largement diffusée) et les têtes blondes au regard bienveillant.

Si l’enjeu est clairement posé, il semble finalement disparaître assez vite pour laisser la place, presque insensiblement à un autre : celui du film de classe, d’une classe sociale qui lutte pour sa survie et ses privilèges. La violence n’est alors qu’un moyen pour assurer cette survie. A l’heure où l’honnêteté et la respectabilité de nos politiques sont à nouveau mises à rude épreuve, Escalade vient à point nommé interroger la légitimité de nos élites. Doublant leurs pairs depuis le berceau, passés maîtres en l’art de la dissimulation, il s’agit pour les quatre adolescents de ne pas décevoir les parents, maintenir le haut niveau de résultat de leur environnement, et surtout conserver leur statut et leur rang et, à terme, de pérenniser leur classe sociale. Le portrait est évidemment chargé, mais le film emploie largement le ton de la satire.

Malheureusement, si le fonds semble plutôt prometteur, la forme décontenance puis déçoit très vite et le film prend l’eau de toute part. Paradoxalement, la réalisatrice parvient à faire passer les rebondissements les plus artificiels, mais bloque sur les scènes plus anodines, et l’ensemble du dispositif reste trop teinté de théâtral, la faute notamment à des écarts assez visibles dans le jeu des acteurs. Si Carmen Maura s’impose avec élégance et Mathieu Simonet (vu notamment dans Merci pour le chocolat de Claude Chabrol) confirme tout le bien qu’on pense de lui, les trois autres acteurs (Renaud Cestre, Julie Durand et Thomas Sagols, un rescapé de Terre indigo) sont largement en deçà et sonnent régulièrement faux. Ils ne sont d’ailleurs pas vraiment aidés par un scénario hésitant et des dialogues poussifs, parfois à la limite du ridicule à défaut d’une interprétation forte.

 
Les beaux moments et les idées de mises en scène ne manquent pourtant pas, dont quelques audacieux et très beaux raccords. En dissimulant les motivations des agresseurs, la première partie notamment parvient à installer une certaine tension. Charlotte Silvera multiplie ainsi les fausses pistes et dévoile les informations clés à demi-mot. Comme la proviseure, le spectateur se retrouve pris en otage. Malheureusement à défaut d’une orientation tranchée, le film navigue entre deux eaux sans jamais affirmer pleinement sa direction, rendant la plupart de ses tentatives caduques, voire totalement grotesque dans la dernière partie. Mi chronique sociale, mi film de genre, Escalade se rapproche finalement plus de Mrs Tingle (Kevin Williamson, 1998) que de l’étude sur la violence qu’il souhaite être, un écueil difficilement rattrapable. Commencer comme Dostoïevski et finir comme Williamson n’est souhaitable pour personne.

Titre original : Escalade

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Durée : 80 mn


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