Entretien avec Matthias Glasner

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Entretien avec Matthias Glasner, réalisé à Paris, le 18 décembre 2007 à propos du film « Le Libre Arbitre » (Avec Jürgen Vogel, Sabine Timoteo, Manfred Zapatka, André Hennicke)

Comment est né le projet de ce film ? Avez-vous été inspiré par des faits réels ?

Non, je n’ai pas été inspiré par des faits réels mais par des photos de véritables violeurs qui paraissent dans les journaux. En les regardant, je me disais : “ Comment peut-on vivre avec cette culpabilité ? ” Je suis très intéressé par la culpabilité. Pourquoi devient-on coupable et comment vit-on avec elle ?

Vous avez réalisé plusieurs films avant Le Libre Arbitre. Est-ce que vous y avez déjà développé cette idée de culpabilité ?

Oui, dans tous mes films.

Vous êtes le coauteur du scénario. Comment a-t-il évolué ? Quelles en ont été les principales consignes ? Les principales difficultés ?

La principale difficulté tenait à comprendre ce qui se passe chez cette personne qui a d’abord commis un viol, ou plusieurs viols, qui est ensuite interné dans un hôpital psychiatrique, et qui finit par en sortir. C’est là que le film commence. C’était difficile car je ne me suis jamais rendu dans un hôpital psychiatrique et je ne parvenais pas à imaginer comment ça se passe d’avoir été interné. On a donc fait beaucoup de recherches, on est allé dans plusieurs hôpitaux psychiatriques, on a parlé aux patients… Je me suis alors senti plus confiant dans l’écriture.

Combien de temps a duré l’écriture du scénario ?

Environ quatre ou cinq ans.

Pourquoi avez-vous privilégié les motivations pulsionnelles du personnage principal, Théo, au détriment de ses motivations psychologiques ?

Parce que je n’ai pas voulu donner d’explications faciles. Le film n’est pas une critique sociale, c’est un film poétique. Je crois en l’existence d’une mystérieuse réaction chimique qui se manifeste entre le visage de l’acteur, le langage de son corps, le rythme du film, d’une part, et les spectateurs, d’autre part. Il y a des rythmes, il y a des émotions. Je voulais procurer des réactions chimiques aux spectateurs et non leur raconter une histoire sentimentale basée sur des explications psychologiques. Je voulais être très poétique.

C’est très direct ?…

Oui, ce sont des réactions directes, comme dans la vie. Nous réagissons les uns aux autres. Je ne sais rien de votre passé mais je réagis à votre façon d’être. C’est ce que je voulais que les spectateurs fassent, qu’ils réagissent à ce qu’ils voient, qu’ils n’aient aucune autre explication.

Le scénario est bien structuré. Néanmoins, il semble que certaines séquences ne correspondent pas directement aux propos mêmes du film. Je pense aux passages qui concernent le travail du personnage de Nettie en Belgique. Pourquoi avez-vous intégré ces séquences ?

Il s’agit de l’histoire de deux personnages en difficulté. Leur relation est difficile. Leurs contacts sont difficiles. Parfois, il est facile de s’ouvrir à l’autre quand on se retrouve en dehors de son propre monde. Beaucoup de relations commencent quand on est en vacances. Mon idée était de les amener au dehors de leur monde, le monde qu’ils n’aiment pas. C’est l’Allemagne qu’ils n’aiment pas. Je les emmène donc ailleurs, ils se rencontrent et là quelque chose est possible. Quelque chose s’ouvre, quelque chose d’intime est possible, parce que leur relation est une sorte de fantasme, elle n’est pas ordinaire. Ils ne sont pas comme les autres personnes qui sortent boire un verre dans un bar, se rencontrent et entament une relation. Leur relation peut uniquement se développer comme un fantasme dans un autre monde, dans un monde de fiction.

Le film a été tourné en respectant l’ordre chronologique des séquences. Pourquoi avez-vous choisi cette démarche ? En était-il question dès le début du projet ?

Non, j’ai décidé ça les avant les prises de vues parce que, comme je l’ai dit, je n’étais pas content du scénario. Est-ce que je vous l’ai dit ? Je n’étais pas content du scénario. Je devais donc tourner du début à la fin parce que je n’étais pas sûr de ce qui allait se passer, parce que je ne croyais pas au scénario. On a donc décidé de trouver une autre façon de procéder dans le film lui-même.

Ce n’est pas la méthode la plus simple. Cela doit coûter cher ?

Oui mais c’est une bonne méthode. Tout le monde a envie de faire ça mais c’est cher. Donc, généralement, on ne le fait pas.

Le jeu de Jürgen Vogel s’est-il accordé avec cette façon de faire ?

Oui, il était parfait. On avait la scène de viol au début qui nous a tous choqués et après ça, il est resté seul pendant un long moment. Dans la première partie, il est seul et ne parle pas beaucoup. On a tourné comme ça pendant trois semaines. Tout ça a eu un impact sur sa façon de marcher, de regarder. Il est vraiment devenu silencieux. Puis, au bout de trois semaines, elle[Sabine Timoteo]est arrivée, elle était nouvelle sur le tournage. Il y avait une étrange atmosphère et elle était un peu effrayée. Lui aussi était un peu effrayé mais il était heureux aussi de pouvoir parler à quelqu’un. C’était vraiment réel. Ça n’aurait pas du tout était comme ça si je n’avais pas filmé chronologiquement. Grâce à ça, il était devenu possible d’exprimer toute la poésie et toute la tendresse qui se nouaient entre les personnages.

Le travail de la caméra est remarquable. Elle semble tour à tour exprimer la confusion des personnages ou, au contraire, leur sérénité. La caméra et les personnages semblent entretenir une certaine relation symbiotique et expressive. Cette façon de faire me fait penser à certaines idées de Pasolini, ce qu’il a appelé le discours indirect libre au cinéma. Etiez-vous conscient de cette démarche ?

Non. Je dois vérifier. Peut-être que je le pourrai. Pour moi, la caméra est comme une autre personne dans le film. J’étais derrière la caméra et je devais réagir comme une autre personne à ce qui était en train de se passer. J’entretenais une relation particulière avec Théo. Je devais réagir à lui comme une sorte de frère symbolique, comme un frère jumeau. Je le dirigeais d’une manière organique. C’est là, pour moi, le rôle particulier de la caméra. Ce n’est pas un stylo, elle n’écrit pas. La caméra réagit, vit, respire. La caméra est comme une créature organique. C’est un peu comme dans les films de Cronenberg où les machines prennent vie, la caméra de mes films prend vie. C’est un de mes concepts : une caméra qui vit, qui respire, qui réagit.

Il semble que vous n’engagez pas les spectateurs à juger les agissements de Théo mais à les regarder pour eux-mêmes. En même temps, vous ne semblez pas chercher à représenter la violence d’une manière esthétique. Que cherchiez-vous à montrer à travers ces images ?

Je ne voulais rien montrer de particulier. C’est ce que je viens de dire : il ne s’agit pas de raconter une histoire ou de raconter quelque chose. J’ai seulement essayer d’être là, de réagir émotionellement et d’essayer de transmettre cette réaction aux spectateurs afin qu’ils puissent réagir de manière très intime. Il ne s’agit pas de raconter telle chose ou une autre, ni de montrer une chose ou une autre mais de traverser la vie, ici et maintenant, et de réagir à elle pour faire réagir les spectateurs. C’est difficile à expliquer. Je n’ai pas cherché à styliser quoi que ce soit. Il n’y a pas d’idées pompeuses.

Pourquoi n’avez-vous pas ajouté de musique dans le film ?

Parce que je ne voulais ni distraire, ni manipuler les spectateurs. C’est un film sur la solitude. Si quelqu’un regarde le film, il se sent seul également. Chaque personne assise dans la salle de cinéma regarde le film seule. La musique connecte les choses et vous fait sentir plus douillet. Si le film est calme et silencieux, vous vous sentez seul. C’est ce que je voulais, que ce soit une expérience de la solitude.

Ne pas donner d’émotions faciles ?…

Rien qui ne permette de se sentir mieux. La musique vous fait sentir mieux. C’est pourquoi on a l’habitude de l’écouter. On conduit une voiture avec de la musique, on fait le ménage avec de la musique parce que cela vous met de bonne humeur.

Le résultat, c’est que le film est dur à expliquer. Etait-ce votre intention dès le départ ?

Oui. La difficulté à le regarder en fait une expérience intense, une expérience de la solitude. Le mot “solitude” est le mot le plus important pour ce film. Tout concourt à la solitude. Je voulais que chaque spectateur se sente seul. La musique connecte et ne permet pas de se sentir seul. Ce que je voulais le plus, c’est que chacun ait sa propre réaction face au film, qu’il ait une réaction individuelle, intime et personnelle.

Au final, le film ne donne aucun espoir pour le personnage principal. Pensez-vous réellement qu’un violeur récidiviste n’est pas capable de s’adapter à la société ?

Si, c’est possible de revenir en arrière. Certaines personnes peuvent le faire, d’autres non. Et ce film respecte ceux qui ne peuvent pas le faire. Je ne voulais pas de réponses simples. Je voulais que le problème ne soit pas résolu à la fin et que les spectateurs sachent qu’il est encore là, qu’ils y soient toujours confrontés, qu’ils ne puissent pas se dire que tout est terminé, que le personnage a passé le cap, mais qu’ils acceptent que cela fasse partie de l’humanité.

Titre original : Der freie Wille

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Durée : 168 mn


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