Au lendemain de la projection des Neiges du Kilimandjaro ayant conquis les festivaliers, c’est à une terrasse de café bondée que Jean-Louis Milesi, scénariste attitré de Robert Guédiguian, nous accorde un entretien posé et détendu. Entre les rires des clients et les interruptions angoissées du serveur dépassé, un échange intéressant est toujours possible
Vous entretenez avec Robert Géuédiguian, une collaboration artistique et amicale de longue date. Comment avez-vous travaillé sur l’écriture du film Les Neiges du Kilimandjaro?
Avec Robert, notre méthode est de ne pas en avoir. Ce qui est récurrent sur tous les films c’est qu’il commence par me contacter en me disant « J’ai une idée, j’ai une envie ». Pour Les neiges du Kilimandjaro, le point de départ était un poème de Victor Hugo sur les marins avec de la misère, de la misère, de la misère… C’est la première fois qu’on partait d’un poème, en le lisant, on s’est dit qu’il fallait apporter de la modernité. Je lui ai proposé cette histoire de braquage entre ouvriers avec l’idée de s’intéresser aussi à la vie et l’environnement du braqueur. Ensuite, la problématique était de montrer une fin pleine d’espoir en évitant tous les écueils mélodramatiques. C’est ce qui nous a pris le plus de temps à trouver.
Y a t-il une répartition des tâches dans votre travail commun?
Le côté politique c’est plus Robert. Quand j’écris pour moi, je suis moins politiquement militant que lui. J’apporte davantage un aspect cinématographique avec l’histoire et les personnages qu’il complète par ses idées. Cela forme un bon mélange entre son point tendu et mon cinéma. J’essaie d’apporter de l’émotion, du rire ou des larmes à son militantisme. Robert m’a qualifié un jour de « scénariste débordant », j’écris et on trie. Quand j’ai une idée, j’y vais jusqu’au bout. Robert lit. On défriche, on prend ce qu’il y a à prendre, nous progressons comme ça.
« Vous désirez ?
_On a déjà commandé deux cafés.
_Ah ben, si vous demandez à n’importe qui…
_On a changé de table.
_Une grande table pour deux cafés, ce ne va pas être possible.
_On vient de déjeuner.
_Ah ben, si vous me le dites pas, je peux pas savoir ».
Ce serveur stressé sera ma transition : arrive t-il qu’il y ait, entre vous, une forte confrontation ?
Écrire à deux, c’est un combat qui évolue. Chacun prend le dessus à tour de rôle. Il y a des films où on va plus sentir le côté politique de Robert comme Mon père est ingénieur ou à l’inverse, l’aspect poétique comme Marie-Jo et ses deux amours. On ne se limite pas, ce n’est parce que dans un film il refuse une idée que je ne vais pas lui proposer pour le film suivant. Par exemple, Robert n’aime pas les personnages de flics dans ses films et pourtant il y en a un de très intéressant dans le film interprété par Robinson Stévenin. Dans Lady Jane, il y avait un personnage de flic qui a disparu au montage et cette fois-ci, il est resté ! C’est devenu presque un jeu entre nous tout en suivant nos évolutions communes. On arrive à mieux s’expliquer ce qu’on veut exprimer. J’aime beaucoup la scène du serveur dans le film qui paraît presque improbable. Elle aurait pu facilement être coupée au montage mais Robert l’a gardée. Hier à la projection, j’avais oublié cette scène et j’étais aux anges car elle est merveilleusement interprétée. Quand Robert et moi partageons un avis sur ce genre de scène, la collaboration trouve tout son sens.
Ils naissent d’un travail de recherche. En écrivant et réécrivant, les personnages sont apparus. Petit à petit, ils sont devenus des gentils un peu ringards aujourd’hui, des gens qui se sont battus mais qui doutent, ce qu’on n’avait jamais imaginé au début de l’écriture. C’est seulement après plusieurs semaines de travail que les deux personnages principaux féminins sont devenus des sœurs renforçant la proximité et l’extrême attachement des personnages. Au départ de l’écriture, les personnages ne sont que des archétypes, on leur donne vie au fur et à mesure.
La comédie c’est un réflexe et un besoin. J’essaie toujours d’en placer quand ça s’y prête même dans les films plus noirs comme La vie est tranquille avec la scène où Darroussin chante l’Internationale en toutes les langues. Le rire aide souvent à faire passer ce qu’on a à dire. J’aime les personnages qui ont le sourire et de l’humour et ça ne les empêche pas de souffrir de la vie…