Entretien avec Im Sang-soo

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Rencontre avec l’auteur d’un beau film sud-coréen… »Le Vieux Jardin »

Pouvez-vous nous parler du contexte politique auquel le film fait référence ?

Im Sang-soo : Pour vous expliquer le contexte politique, je dirais que dans les années 60 en Corée, nous avons connus une dictature militaire, ce dont je parle dans mon film précédent The President’s Last Bang qui traitait de l’assassinat du président de l’époque. Juste après la mort de ce président, tout le peuple avait vraiment envie que le pays devienne une démocratie. Mais malheureusement ce qui a suivi, c’est le massacre de Kwangju qui a été une sorte de terreur menée contre la population. Ce massacre s’est accompagné par la suite de douze années de dictature militaire. Donc beaucoup de jeunes se sont rebellés contre ce régime, ont beaucoup manifesté, et c’est de ça dont le film parle.

Il y a parfois des difficultés à comprendre un contexte, une ambiance, pour une génération qui n’a pas vécu certains événements. Or vous avez travaillé avec de jeunes acteurs qui n’ont pas connu le mouvement de mai 1980. Comment avez-vous réussi à les plonger dans cette atmosphère et à leur faire prendre conscience des enjeux de cette époque ? Et comment vous-même vous y êtes-vous plongé ?

Im Sang-soo : Pour commencer, je trouve qu’on n’a pas besoin de connaître le contexte historique du film pour le comprendre. La trame du film se concentre sur des personnes qui sont au pouvoir de manière abusive, qui règnent sur le pays. Un jeune s’enfuit et devient un fugitif. Une femme cache ce jeune homme qui finira en prison. Lorsqu’il en ressort, 17 ans après, le monde a beaucoup changé. Il se demande comment il va continuer à vivre.

Vous avez adapté Le Vieux Jardin du livre de Hwang Sok-yong. Avez-vous ajouté ou supprimé des éléments ?

Im Sang-soo : Le Vieux Jardin est un roman qui a également été traduit en français et c’est vraiment un énorme « pavé ». Si j’avais du faire une adaptation cinématographique en le respectant à la lettre, je pense que ça aurait donné un film de plus de 10h ! J’ai donc été, bien sûr, obligé de compresser le roman. Et si certaines caractéristiques du film sont parfois différentes, c’est parce que je me suis beaucoup plus concentré sur le personnage de la femme, Yoon-hee, et sur sa vie.

Justement le personnage de Yoon-hee prend de l’importance au fur et à mesure du film. Elle ne dénonce pas le mouvement de 1980 lui-même mais en critique plutôt la forme. Elle ne comprend pas la raison d’une telle lutte, pourquoi certains meurent pour leurs idées. Peut-on voir un peu de votre regard à travers celui de ce personnage ?

Im Sang-soo : Le personnage de Yoon-hee est le plus important, et celui auquel je me suis le plus attaché dans ce film. Il est vrai que sa position est aussi la mienne. Dans sa vie on peut voir en quelque sorte ce qui manquait aux activistes de l’époque, et même si aujourd’hui on pense que mourir pour ses idéaux, être idéaliste, est une bêtise et ne sert à rien, je pense que c’est ce vers quoi on devrait se retourner et c’est ce qu’on peut voir dans la vie que mène Yoon-hee. En fait, pour être plus précis, je veux dire que le personnage masculin, lui, se bat contre la dictature militaire, mais je me demande s’il savait ce qu’il allait faire une fois la dictature passée. Bien sûr il y aurait eu une démocratie, mais quelle démocratie, et comment l’aurait-il vécue ? Donc, je crois que c’est un personnage qui aurait du essayer de voir un peu plus loin que le « simple » combat contre la dictature. C’est un personnage tellement engagé, qui veut absolument voir l’abolition de cette dictature, qu’il ne se concentre que sur la lutte et qu’il ne réfléchit pas assez. Et au contraire, face à lui, il y a cette femme, enfin plutôt la vie de cette femme qui est une réponse à cette question. Car ce qui importe, c’est être fidèle à ses idées et avoir des sentiments, comme par exemple être triste à la mort de quelqu’un. Donc c’est ça que je voulais mettre en parallèle. C’est pourquoi quand on me dit que ce film est une histoire d’amour sur fond de contexte politique, je suis un peu déçu. Je préférerais en fait qu’on me dise que c’est un film qui concerne les relations qu’entretiennent les idéaux politiques que l’on a et l’amour, dans le sens de la vie de personnes qui aiment.

Concernant la mise en scène, on est frappé par les couleurs qui tendent vers le gris. Même si les saisons passent, il n’y a jamais de couleurs vives ou chaudes. Tout cela crée une atmosphère de mélancolie habitant le film du début à la fin. Cela va dans le même sens que le cadrage très rapproché sur les personnages soulignant ainsi l’émotion de certaines scènes. Comment avez-vous abordé la mise en scène ?

Im Sang-soo : Dans les années 80, j’avais 18 – 19 ans. J’étais à la fac. C’est donc un contexte que j’ai très bien connu. Ces manifestations faisaient alors partie d’un environnement que je connais bien. J’ai voulu exprimer une sorte de nostalgie de cette époque. Par exemple, dans ma manière de filmer bien sûr, la scène où la fille se suicide par le feu et celle où les manifestants sont aspergés d’eau par la police, ce sont en fait des scènes que j’ai voulues très réalistes et en même temps qui n’existent plus aujourd’hui. Je voulais un peu montrer par ce biais-là ces scènes qui ont disparu de notre univers actuel. En même temps, je voulais marquer un contraste fort entre les manifestations violentes et la belle histoire d’amour entre les deux personnages. Aussi, j’avais dit à mon chef opérateur que pour ce cinquième film, on ferait de nombreux plans rapprochés (c’est le film dans lequel j’en fais le plus d’ailleurs) et aussi beaucoup de plans séquence quand je filme dans la nature. J’avais promis cela à mon chef op’.

Pourquoi avez-vous utilisé le flash-back et le rêve pour recomposer cette histoire au lieu de suivre l’ordre chronologique ?

Im Sang-soo : Il y a énormément de flash-backs dans le film, et la manière de procéder à cette technique était par exemple de montrer le personnage masculin qui prenait le taxi et qui, dès qu’il tournait la tête vers l’extérieur, voyait apparaître le personnage féminin, ce qui l’amenait vers le passé. Pareil, lorsqu’il est en train de nettoyer la chambre, il regarde un moment la cuisine et cette femme apparaît. C’est encore le moyen pour lui de rebasculer vers le passé. En allant dans les lieux chargés de mémoire, il se remémore cette femme et je pense que, pour moi, c’était un moyen assez naturel de procéder ainsi. On peut également voir le personnage masculin comme quelqu’un qui, bien sûr, a passé beaucoup trop de temps en prison et qui n’est plus tout à fait lui-même quand il en sort. Il voit en fait sa bien-aimée mais qui est ici une sorte de revenante. C’est pour cela qu’à la fin, on peut voir le film comme une sorte de réunion familiale finale, où les trois se rencontrent. Comme si la femme était une revenante et qu’elle guérissait l’homme par sa présence invisible et protégeait la rencontre entre sa fille et son aimé. Maintenant que je parle comme ça, je vois que c’est vraiment une femme formidable (rires).

Pourquoi avez-vous choisi de faire défiler le générique de fin sur les tableaux peints par Yoon-hee ?

Im Sang-soo : Dans le livre, le métier de Yoon-hee est bien celui d’artiste-peintre, mais les dessins n’ont pas autant d’importance que dans le film. Comme elle était artiste-peintre, j’avais besoin de tableaux. J’ai alors demandé à un artiste que je connaissais bien qu’il me fasse ces dessins. C’est donc grâce à lui que j’ai pu avoir ces dessins qui m’ont servis d’accessoires en tournant le film. Quand on regarde le dernier tableau à la fin du film, on voit Hyun-woo avec son uniforme de lycéen. Donc on le voit jeune. Et à côté une Yoon-hee au présent, qui a déjà un certain âge, le crâne rasé. Elle représente un peu une figure de mère et c’est vrai dans le sens où elle le protège. En même temps, on voit la figure du père de Yoon-hee qui a des lunettes (elle s’est inspirée d’une vieille photo) et à ses côtés, il y a la mère de Yoon-hee, au présent. Ca, c’est pour dire que l’homme ne fait que perpétuer des bêtises et des erreurs dans sa vie. L’homme est quelqu’un de très orgueilleux et ce sont véritablement les femmes qui réparent les erreurs commises par les hommes et mènent leur vie coûte que coûte pour aller vers l’avant.

Pour vous, le sentiment que Hyun-woo est passé à côté de sa vie à cause de son engagement est très clair…

Im Sang-soo : Quand il sort de prison, on ne peut que dire que sa vie a été un échec. Il n’a plus rien. Mais bien sûr, je suis conscient que sa décision, même si elle l’a menée en prison, était de suivre un idéal très noble. En même temps, je ne peux que constater que lorsqu’il sort de prison, il est passé à côté de la vie ; malheureusement, dans la vie, on ne récolte pas toujours ce qu’on sème. Quant il voit sa fille, je pense qu’il ne revivra pas de la même manière que lorsqu’il était jeune. C’est un peu le message qu’elle lui laisse.

Vous avez dit tout à l’heure que vous étiez déçu lorsqu’on disait de votre film que c’était une histoire d’amour dans un contexte politique. Pourtant, on a l’impression que cette histoire d’amour est vraiment au centre de votre film.

Im Sang-soo : Tout à fait, l’histoire d’amour est au cœur du film. Quand on me dit que c’est une belle histoire d’amour qui est à la fois triste, je suis très content. Mais comme j’avais l’impression que vous trois étiez très sensibles, je disais cela pour rire en pensant que vous iriez au-delà de cette histoire d’amour (rires).

Quel accueil a reçu votre film en Corée, notamment auprès des gens qui ont vécu ces événements ?

Im Sang-soo : Les années 80 représentent une période où la jeunesse était vraiment belle, remplie de nobles idéaux. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont devenus des parents qui doivent vivre et subvenir aux besoins de leur famille et donc ils ont plus ou moins perdu ces idéaux-là. Je pense que la plupart éprouve une sorte de culpabilité vis-à-vis de cet idéal qu’ils ont abandonné et qu’ils regrettent. Il y a donc une certaine nostalgie et ces personnes-là ont alors bien accueilli le film. Pour d’autres personnes qui ont exploité ces idéaux afin d’accéder au pouvoir, je crois que le film leur a beaucoup déplu. Quant aux gens qui ne savent même pas ce que signifie le mot « idéal », ils ont été totalement indifférents à mon film. Je déplore justement que beaucoup de jeunes aujourd’hui soient totalement dénués d’idéaux…
Propos recueillis en avril 2007 par Francesco Capurro, Laurence Gramard et Morgane Postaire.

Titre original : Orae-doen jeongwon

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Durée : 112 mn


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