Effacer l’historique.

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Pour leur dixième collaboration, le tandem Delépine-Kerven surfe, avec un certain bonheur, sur l’absurdité de notre société hyperconnectée.

Déconnecter

Censées fortifier nos liens affectifs et combler notre égotisme, les nouvelles technologies aimantent en permanence notre attention, jusqu’à en perdre totalement la boussole.  Le postulat de Delépine et Kerven ne peut, malheureusement, ni nous choquer ni nous surprendre, tant notre quotidien se résume à une litanie d’absurdités.  Exécutées sous l’emprise de slogans commerciaux ou autres formes de prêts à penser comme la formule : « Un numéro vert à quelques centimes d’euro la minute », répétés benoîtement à maintes reprises.  Bien plus pernicieuse, la toile virtuelle, peu soucieuse de vérité et de liberté individuelle,  ne permet aucun effacement. Ainsi le piège se referme tout de go sur nos trois victimes idéales ; harcèlement et chantage pour Bertrand (Denis Podalydès), et Marie (Blanche Gardin), impitoyable notation de sa  clientèle pour Christine (Corinne Masiero).

Reposant sur le schéma suivant : une situation = une scène = une chute comique, la première partie du film, qui présente en alternance les déboires de chaque personnage, ne fait pas forcement mouche à chaque tentative. Cependant, l’ironie bien dosée sait suffisamment éveiller nos zygomatiques pour nous plonger dans une réjouissante chienlit. Pointe alors la crainte d’assister à une succession de scénettes dans un format trop télévisuel. Un risque qui sera écarté quand les trois rebelles décident d’unir leur force pour combattre la menace fantôme. La punchline cesse alors d’être un impératif scénaristique. Ce que le film gagne en sensibilité ne s’opère jamais au détriment de l’humour. À contrario, la complicité du trio comique n’en devient que plus réjouissante. Blanche Gardin et Corinne Masiero mesure leurs effets dans le registre où elles excellent  habituellement. Quant à Denis Podalydès, il est là où l’on ne l’attend pas. Rien de surprenant pour un tel comédien.

Elle court, elle court, la banlieue.

Avant d’occuper le rond-point de leur quartier, les trois gilets jaunes ne se connaissaient pas. Symptôme de ces banlieues pavillonnaires françaises où le diptyque maison-jardin prend les allures d’une prison dorée. L’addiction aux consommations les plus diverses, y compris les séries télés, s’accompagne d’une quête permanente de financement, sans limite d’action : vente de son ameublement où paiement à crédit d’un rôti de de veau. Si l’inquiétante symétrie des habitations rappelle l’enfer à ciel ouvert du récent Vivarium (2020), le décor se veut douillet et cosy, car selon les deux réalisateurs le drame social n’est pas une simple question de pouvoir d’achat mais tient principalement à l’aliénation qui en découle. La mise en scène, choix des lumières, cadrages, ne manque également pas de soin, à l’opposée d’une esthétique trash à laquelle on aurait pu s’attendre.

En dotant les personnages d’un bon sens de l’autocritique, la thèse sociale à sens unique se trouve contournée. Dans leur crise de rage contre le système ; ni affreux ni sales, les premiers de corvée restent relativement mesurés dans leurs débordements. Un surcroît de méchanceté se fait cependant parfois désirer. Corrosifs mais pas trop, Delépine et Kerven ont pris le chemin du Feel-Good Movie. Une voie dans laquelle on peut les accompagner sans risque de se fourvoyer.

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