Edouard Louis, ou la transformation

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Portrait philosophique d’un jeune homme (trop) moderne.

Retour à Amiens

François Caillat, ancien professeur de philosophie devenu documentariste, nous propose un portrait de la révélation littéraire, exagérément médiatisée, d’un jeune génie au début des années 2000, Eddy Bellegueule, devenu plus tard Edouard Louis par arrêté de justice. Il faut dire que le jeune homme est séduisant et particulièrement intelligent. Filmé souvent de dos parce que la caméra le suit lorsque François Caillat lui a proposé sans préparation aucune de le conduire dans la ville d’Amiens, lieu de sa première transformation. Comme son maître Didier Eribon qui l’a fait avec son Retour à Reims en 2009, et en évoquant une certaine Annie Ernaux en son temps, en plus apaisé envers sa famille, Edouard Louis fait revivre ses souvenirs non d’une manière anecdotique, mais en développant le fil de sa pensée. Il nous entraîne alors dans une sorte de pensée en acte, un événement à contre-courant du documentaire de télévision trop mis en scène et orienté. Le réalisateur lui propose une sorte de maïeutique socratique qui lui permet de divulguer la pensée dont il est très fier sur la nécessité de la transformation, lui qui a échappé au déterminisme social et a même pu entrer dans le monde cadenassé du théâtre, de la littérature et a même obtenu de faire changer officiellement son nom, non pour couper court avec son passé mais pour entrer dans un autre monde qui ne le faisait même pas rêver auparavant. « J’attendais d’Edouard Louis qu’il produise un discours à partir de ces situations qu’il découvrait à l’improviste, déclare François Caillat dans le dossier de presse du film. Un discours : une vraie réflexion, pas quelques souvenirs ou remarques de circonstance. C’est ce que j’appelle pratiquer la pensée en direct. Tout le monde n’est pas capable de le faire. »

Un péripatéticien sous maïeutique

Cette conversation en marche comme les péripatéticiens de l’Antiquité nous conduit vers une fine analyse du monde tant Edouard Louis sait manier les mots avec précision, mais sans snobisme ni afféterie. On découvre ainsi un être en perpétuelle réflexion et transformation mais qui n’est jamais ni donneur de leçon, ni poseur intellectuel, un peu agaçant toutefois. Dans un certain sens, la définition sartrienne découverte dans les dernières ligne des Mots lui correspondrait presque même s’il aurait du mal à ressembler à Albert Camus : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Et pour ce faire, le documentariste a choisi non pas de mettre en scène les lieux minables où l’ex-Eddy a passé son enfance (en effet, on ne voit qu’une seule photo de leur maison délabrée) mais nous propose par moments une vision de beaux paysages, ou des retours vers les mises en scène créées à partir des textes écrits par Edouard Louis – dont le livre qui l’a révélé, Pour en finir avec Eddy Bellegueule – et, bien sûr, des lectures par l’auteur lui-même devant un micro et face à une belle mise en abyme. 

Profil de médaille

Au final, un très beau film qui échappe intelligemment à toutes les chausse-trapes que le sujet aurait pu placer sous ses pieds et dessine en fait le portrait d’un homme en devenir incessant, avec son profil de médaille qui, hélas, évoque celui de Macron, mais un Macron affûté et sincère qui se faufile entre les mots et se donne à voir, non comme un modèle, mais comme un survivant du déterminisme social et qui a fait son miel des thèses de Bourdieu sans en faire « tout un plat »… « Je crois que les spectateurs sont surpris de découvrir Edouard Louis sous cet angle, se confie François Caillat. Il y a ceux qui aimaient déjà l’écrivain, appréciaient ses ouvrages ou ses interventions publiques. Et il y a ceux qui ne l’aimaient pas, mais sont venus parce qu’on leur avait parlé du film, et ils m’ont écrit : Je ne suis pas du tout d’accord avec ce qu’il dit, mais c’est quelqu’un de lumineux… Ce qu’il fait ressentir est magnifique. Dans ce cas-là il y une sorte de respect, imposé par le film. J’en suis très content. C’est l’objectif que je m’étais donné : montrer un garçon sensible, touchant. Bien sûr, il est très intelligent, mais les gens connaissent déjà son intelligence, tandis que l’autre aspect semble moins évident. Le film qui veut éclairer cette face. »

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Durée : 72 mn


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