DVDs Nicolas Klotz/ Elisabeth Perceval : Paria et La Blessure.

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Sortie DVD chez Shellac Sud de deux oeuvres ayant marqué la décennie, révélant en Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, en plus de grands cinéastes, de précieux observateurs d’une France bien contemporaine.

Bonne nouvelle que la sortie en DVD des deux longs-métrages ayant contribué à faire aujourd’hui du cinéma de Nicolas Klotz (et de sa scénariste et compagne Elisabeth Perceval) ce qu’il est : un exemple en matière de révélation d’une réalité contemporaine, d’un statu quo social et politique trop souvent esquivé. Regarder ces films, c’est accepter de faire face au refoulé de toute structure sociale, de se confronter une fois pour toutes à ce qui, tout en étant su de tous, s’obstine à être tu, tout du moins à n’excéder que trop rarement le stade du balbutiement. Ainsi, suivre Victor et Momo, les deux figures maîtresses de Paria (2000) – respectivement incarnées par les beaux, justes et puissants Cyril Troley et Gérald Thomassin –, dans ce flottement nocturne du 31 décembre 1999, entrer avec eux dans ce bus récupérant pour quelques heures les SDF, n’est pas expérience facile. Transparaît à chaque plan (l’emploi de la caméra DV n’y étant pas pour rien) le caractère documentaire, réel de situations dont la dimension fictionnelle – Victor et Momo restent des personnages – est pourtant immédiatement certifiée. Cette confusion est ce qu’il y a ici de plus fort, de plus décisif en ce sens que progressivement, tout le travail effectué en amont par le cinéaste et sa scénariste, toute leur entreprise initiale de rencontre avec cette « réalité » imprègnera en silence le corps même de la fiction. Partis pour suivre les trajectoires d’abord parallèles puis communes des deux jeunes hommes, avec perte de job, plans drague un peu foireux, expulsion d’appart, querelles entre compagnons d’infortune, engagement dans une incertaine affaire de mariage blanc, c’est à la force muette d’un pur « état », d’une évidence ne requérant aucun mot – l’ « être SDF » –, que nous nous verrons soudain confrontés. Le passage n’est pas dénué de douleur, certaines images – notamment celles suivant les soins apportés à un vieux clochard dont le corps est en état de putréfaction avancée – étant tout bonnement insupportables, touchant le cœur même de la problématique : les manifestations physiques, les stigmates que laissera sur le corps la trop longue durée du dénuement, de la mise au ban du système sociale. Nulle complaisance dans cette exposition sans détour du mal, mais plutôt une manière de confirmer encore la nécessité pour le cinéma de se brûler toujours plus au feu du réel, pour la fiction de tirer une nouvelle force, une légitimité supplémentaire de sa mise en crise.

                                                                                                

Plus plane, plus posée, la surface sur laquelle se détachent les corps malmenés de La Blessure (2004) n’en est pas moins tout aussi liée à un positionnement très précis, quant au réel. Le cinéaste explique : « Une des inspirations du film vient de John Ford. Et particulièrement des Cheyennes, qui est d’une certaine manière un film sur l’extermination (…) C’est un film très moderne. Les groupes chez Ford, qu’il s’agisse des militaires américains ou des Indiens, sont filmés par le même dispositif, sauf que les Indiens existent dans toute leur verticalité. Ils sont toujours dans le champ de la caméra alors que la cavalerie entre et sort sans arrêt du cadre (…) La Blessure est filmée depuis les Africains (…) Il faut savoir à partir de quelle place on filme le monde. La Blessure est filmé du côté de ceux qui ont tout perdu. Depuis là où ils tentent de continuer à exister. »
« Depuis les Africains », cela veut donc bien dire : « à partir de leur corps, de leur peur, de leurs réflexes de survie et de résistance face à la violence de leur expulsion ». Ici aussi, évidence, lors des scènes d’expulsion (ou plutôt de tentative d’expulsion) des immigrés à l’aéroport de Roissy, d’un long travail en amont, d’une fidélité au témoignage d’individus ayant réellement été confrontés à cette expérience. La « blessure » du titre doit être prise aussi bien en son sens le plus littéral (les traces que laisse cette répression sur le corps des êtres, particulièrement ici de Blandine, une jeune congolaise dont le temps de convalescence tiendra presque lieu de mètre étalon du film) que dans celui, plus symbolique, d’un traumatisme, d’une souffrance sans frontière ayant circulé sans coup férir du pays d’origine (beaucoup ont fui une répression, une menace de mort portant aussi bien sur eux-même que leur famille) à la terre d'(éventuel) accueil. Bien plus que dans Paria, la parole, les mots, le récit de cette souffrance, ce mal originel par les victimes elles-mêmes sera le point névralgique de tout le film, de toute sa – très fragile – structure. À la beauté triste des images – une grande partie du film se déroule dans le cadre assez restreint d’un squat parisien en voie de destruction, décor dans lequel seront accompagnées les figures clandestines dans leur quotidien, entre repos, cueillette de cerises, ablutions, préparation méthodique d’un maigre dîner… – s’adjoint alors le tremblé de confessions nocturnes, souvent face caméra, d’hommes et de femmes hantés par le souvenir encore si proche de leur fuite, perdus et inquiets quant au sort réservé aux proches n’ayant pu les accompagner. Ces témoignages s’écoutent d’autant mieux que jamais ne les encombre la moindre intention strictement « dénonciatrice », que, très subtil, le lien, le contrat de confiance établi entre les auteurs et les « interprètes » de ces récits induit une ouverture permanente des champs d’émission et de réception de la parole. Importe moins, au fond, l’attestation d’une écoute que l’aménagement de l’espace-temps le plus adéquat à la pensée puis la formulation d’un vécu.

                                                                                          

Entre le surgissement, en plein cœur de la fiction, de la sourde horreur d’une condition limite – le dépérissement du « paria » – conférant au cinéma une matérialité toujours bénéfique, et l’élévation post-traumatique de l’expression libératrice d’une douleur singulière, le cinéma de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval apparaît donc définitivement comme le précieux indicateur d’une existence (physique, intellectuelle) de l’exclu. Il est des blessures nécessaires parfois à la plus belle des réconciliations.

Bonus

Car le travail de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ne se limite pas au seul long-métrage destiné aux salles, nous est offert, en accompagnement de chaque film, un second DVD élargissant le sujet initial de la fiction à la dimension d’analyses philosophiques et sociologiques (par le biais de la parole de Jean Luc Nancy, Marie-José Mondzain, Smaïn Laacher et Olivier Le Cour Grandmaison), et de témoignages (le cinéaste-frère Pedro Costa, le réfugié Amadou Diallo) d’une pertinence et d’une profondeur vertigineuses.

Intitulés de ces pépites : Dialogues clandestins 2001
                                             Ton doux visage, en complément de Paria

                                             Dialogues clandestins 2003-2004
                                             Ton sourire pas enfoui, en complément de La Blessure


DVDs édités chez Shellac Sud/ Malavida Films, sortis depuis le 15 juin 2009

Voir aussi l’entretien que les cinéastes nous avaient accordé en septembre 2007, à l’occasion de la sortie de La Question humaine :

www.dailymotion.com/relevance/search/nicolas+klotz/video/x34evz_entretien-avec-nicolas-klotz-et-eli_shortfilms

www.dailymotion.com/relevance/search/nicolas+klotz/video/x34fo8_suite-1-entretien-avec-nicolas-klot

www.dailymotion.com/relevance/search/nicolas+klotz/video/x34lgk_suite-2-entretien-avec-nicolas-klot



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