DVD « Les Amants passagers »

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Sortie en DVD du dernier Almodóvar, décevant.

Comme d’habitude, quelques mois seulement après sa sortie en salles, voici le DVD du film de Pedro Almodóvar qui n’a pas fait la Une à Cannes cette année. Pourtant, on dit que le film a fait recette en salles, et que les critiques, dans l’ensemble, n’étaient pas si mauvaises. On se demande toutefois ce qui a bien pu lui passer par la tête en nous livrant ce film quand même assez vulgaire, et qui ne va pas marquer l’histoire du cinéma. On imagine cependant mal le grand réalisateur espagnol se venger des commissions de sélection cannoises en leur offrant matière à refuser un nouveau film, en revenant à ses premières amours, maintenant bien dépassées, à savoir la movida madrilène avec ce qu’elle charriait de provocation kitsch et de mauvais goût ostentatoire.

On avait d’ailleurs laissé deux des protagonistes de son deuxième long métrage, Le Labyrinthe des passions, en 1982 donc en pleine movida, prendre tranquillement un avion pour Panama et s’envoyer en l’air dans la carlingue avec force bruits et suçotements. Sexilia et son jeune amant très gay prenaient leur pied et ça faisait très underground pour l’époque. Il faut se souvenir que l’Espagne sortait alors à peine du carcan franquiste et avait besoin de jeter sa gourme par-dessus les moulins. Mais depuis, de l’eau a bien coulé sous les ponts et l’Espagne a adopté le mariage gay bien avant la France, par exemple ! Pourquoi alors nous rejoue-t-il la grande scène du IIIe acte en nous embarquant trente ans plus tard dans un autre avion et pour Mexico cette fois, avec Cecilia Roth qui interprétait déjà le rôle de Sexilia dans Le Labyrinthe des passions. Dans Les Amants passagers, son rôle est un peu plus sage mais tout aussi caricatural. De nymphomane, la voici passée au statut de dominatrice et femme d’affaires. Dans la première classe de cet avion, qui va passer son temps à voler en rond au-dessus de Madrid pour finir par atterrir dans de la mousse comme dans une soirée techno d’Ibiza, il s’en passe de belles, mais le spectateur s’ennuie un peu devant tant de vulgarité, de paresse narrative et de sentiment de déjà-vu.

 

Après bien des films très sérieux, pour ne pas dire sinistres, comme par exemple La Mauvaise éducation (2004) ou La Piel que habito (2011), tous revenus bredouilles de Cannes, Almodóvar a bien le droit de se faire un peu plaisir et de filmer ses copains à bord, avec force grimaces, gros mots et situations scabreuses. Tout au long du film, on se retient de lui dire qu’il pousse quand même le bouchon un peu loin. Il n’est plus dans le roman-photo ou le scénario rocambolesque, il est dans la farce tranquille à côté de laquelle La Cage aux folles (Édouard Molinaro, 1978) fait comptine pour enfants sages. Il faut dire que les stewards grandes folles en font des tonnes, notamment dans cette chorégraphie mollassonne, digne d’un cabaret de deuxième zone, orchestrée par Blanca Li sur une chanson des Pointer Sisters, I’m So Excited. L’ensemble est du même tonneau, un peu attendu, un peu paresseux. C’est dire que le DVD n’aura pas grand-chose à nous proposer en guise de boni : le making of du film qui n’apporte rien ou presque sur la façon dont Pedro Almodóvar dirige ses actrices et acteurs ; les décors, par contre, sont assez intéressants surtout par rapport à la manière dont les décorateurs ont pu reconstruire la partie d’avion où se déroule la quasi-totalité du film – le tout filmé en accéléré, ce qui apporte une vision d’ensemble non dépourvue d’intérêt. Le bonus sur les effets spéciaux est en revanche un peu trop court pour nous montrer la manière dont on a pu donner vie au cockpit et à ses habitants déréglés.

Entre décadence et modernité, tout le monde aura bien sûr deviné qu’il s’agit d’un film provocateur sur la situation du monde en général, et sur  l’Espagne en particulier. Une Espagne qui d’ailleurs, depuis la movida, surfe sur la croissance économique et se réveille groggy après les crises économiques qui se succèdent depuis 2008. Bien sûr, l’avion qui vole vers nulle part et atterrit à son point de départ est une belle métaphore sur l’inertie de notre société et l’aéroport désert existe bel et bien en terres ibériques, notamment à Ciudad Real, dans la Mancha, d’où est originaire le réalisateur. On dit que la France, toujours à la recherche de nouvelles sensations, voudrait faire la même chose à Notre-Dame-des-Landes, y construire un aéroport qui deviendrait vite inutile à cause du TGV Atlantique. Mais les époques ont les rêves qu’elles méritent. La nôtre a des rêves sinistres. On peut compter sur Pedro Almodóvar pour tenter de nous amuser. Pourtant, ce film tout à la fois fassbinderien et almodóvarien, en lorgnant un peu sur Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (Jim Abrahams, Jerry et David Zucker, 1980), nous laisse sur notre faim et ne prophétise en rien sur la situation mondiale et sur son prochain film. Le temps, qui a toujours réponse à tout, nous le dira (peut-être).

 

Les Amants passagers
de Pedro Almodóvar – DVD édité par Pathé – Sortie le 25 septembre 2013.

Titre original : Los amantes pasajeros

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Durée : 90 mn


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