DVD « Laïcité Inch’Allah ! »

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<< Catholique par sa mère, musulmane par son père, athée grâce à Dieu >>, la réalisatrice tunisienne Nadia El Fani interroge ses concitoyens sur la laïcité, avant et après les révolutions arabes. Un documentaire précieux sur une société en pleine mutation.

17 décembre 2010. Mohamed Bouazizi, jeune vendeur de fruits et légumes, s’immole par le feu à Sidi Bouzid après s’être fait confisquer sa marchandise par les autorités tunisiennes. La colère gronde, un parfum de jasmin se répand dans les rues, les manifestations se multiplient. La révolte prend de l’ampleur en Tunisie, puis vient le tour de l’Egypte, de la Libye, de la Syrie, avec les conséquences que l’on connaît. Nadia El Fani, cinéaste tunisienne exilée depuis dix ans à Paris, était sur le terrain lorsque la « révolution de jasmin » a éclaté. Mais si Laïcité Inch’Allah ! s’ouvre sur les slogans proférés par les manifestants en janvier 2011 – « Le peuple veut faire sauter le pouvoir » –, le tournage avait débuté bien avant cela, au cours de l’été 2010.

A cette époque, le nom de Mohamed Bouazizi n’évoque rien à personne et des portraits gigantesques du président Bel Ali ornent les murs de la capitale. C’est aussi le début du ramadan : les tunisiens s’apprêtent à jeûner pendant vingt-neuf jours, de l’aube au crépuscule, malgré un soleil de plomb. Tous ? Non ! D’irréductibles athées, parmi lesquels Nadia El Fani, profitent de l’occasion pour organiser de sympathiques pique-niques au bord de la mer. Un geste provocateur, mais efficace. Car c’est bien cette Tunisie-là que la réalisatrice souhaite percer à jour : un pays où « la majorité des gens ne fait pas le ramadan, mais se cache ». Armée de sa caméra, elle pénètre dans les restaurants et les bistrots, en plein ramadan, pour filmer ceux qui « dé-jeûnent » en cachette. Pourquoi une telle hypocrisie sociale ? Serait-ce la faute de la constitution tunisienne qui affirme, dans son article premier, que « la religion [du pays] est l’islam » ?

 
C’est avec foi et humour que Nadia El Fani plaide pour une Tunisie laïque. Elle filme ses conversations avec des quidams (passants, restaurateurs, chauffeurs de taxis…) mais également avec des universitaires et des militants, défenseurs des libertés individuelles, au risque de ressasser ses idées sans s’interroger sur le pourquoi du comment. Trop prompte à dénoncer l’intrusion du religieux dans la sphère sociale, elle en oublie la pauvreté, le chômage, l’analphabétisme qui permettent aux dévots et aux fous de Dieu d’étendre leur empire. Une jeune journaliste rencontrée dans une manifestation lui raconte comment elle a pris conscience, en réalisant un reportage dans un quartier populaire, de l’importance de l’islam dans la vie des déshérités. On sent alors poindre dans sa voix une touche d’inquiétude.

Laïcité Inch’Allah ! s’intéresse moins aux révolutions arabes en tant que telles (contrairement au documentaire Tahrir, place de la Libération de Stefano Sanova) qu’à leur force subversive, leur potentiel d’innovation. « C’est comme si la dictature n’avait existé que pour enfanter ce moment », commente la réalisatrice. La Tunisie est présentée comme une terre en friche où tout est désormais possible, le pire comme le meilleur. Si le parti islamiste Ennahda a remporté la majorité des sièges lors de l’élection de l’Assemblée constituante d’octobre 2011, l’avenir du pays demeure, pour sa part, incertain. Le documentaire de Nadia El Fani sonne comme un chant d’espoir, à l’image de celui du générique : « Je suis de ceux qui sont libres et n’ont pas peur. Et de ceux qui résistent je suis la voix. » 


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