Guibert Cinéma nous rappelle à quel point la France regorge d’artistes aux potentiels énormes mais dont les vicissitudes de la vie ou le manque de compréhension de leurs pairs marginalisent le travail, dont la portée artistique n’est honorée que trop tardivement. Les quelques cinquante-huit minutes que dure le documentaire consacré à Hervé Guibert dressent le portrait passionnant d’une sorte d’Arthur Rimbaud du XXe siècle. Et les similitudes ne manquent pas. A commencer par la très grande beauté des deux hommes qu’un photo-portrait éternise, l’impertinence géniale qui les caractérise, l’homosexualité comme libre pratique sexuelle, aux conséquences fâcheuses pour l’un d’eux, et une nécessité poétique et empirique pour l’autre. Enfin, leurs passions et leurs buts artistiques mal compris de leur vivant.
La qualité et la pertinence des entretiens permettent de cerner très efficacement le personnage d’Hervé Guibert et ses souhaits de devenir réalisateur de longs métrages. Une assurance certaine en ses capacités et une volonté farouche d’être le seul maître à bord (utopie de tout réalisateur dont le fait d’entendre le nom de Kubrick est synonyme de liberté) ont été pour lui un handicap dont le talent accompli de photographe et d’écrivain, selon Raymond Bellour, ont fini d’écarter du 7e art.
Les extraits vidéos enrichissent les témoignages des différents intervenants en nous montrant l’image d’un homme dans laquelle se traduit la volonté d’expliquer « son art », sa timidité innée, son envie de vivre et sa volonté, à travers ses ultimes essais cinématographiques, tant technique que lyrique, d’intégrer la grande famille du cinéma.
Trois entretiens, dont une interview audio d’Isabelle Adjani, qui sont à considérer comme des chapitres supplémentaires au documentaire. Le premier, avec Dominique Issermann et Agathe Godard, explore un peu plus profondément la jeunesse d’Hervé Guibert et fait une définition « agréable » de la photographie et de la différence entre un artiste poussé par l’ambition ou inspiré par sa passion.
Le deuxième entretien propose une étude succincte et très efficace de l’œuvre d’Hervé Guibert et de sa signification. Notamment son désir d’observer la part de faiblesse des personnes que l’on présente comme des stars, placées dans l’inconscient collectif au-dessus de la moyenne de la population, mais dont la part de ténèbres n’en ait pas moins présente et très puissante. Et pour finir l’interview audio d’Isabelle Adjani: une belle histoire entre les deux artistes où se mêlent discorde, vénération réciproque et regrets, doublée de l’impression de la célèbre actrice que la trop grande sensibilité d’Hervé Guibert faisait naître en lui des émotions très pénibles à vivre et surtout très difficiles à exprimer.


De prime abord, ce film semble être une suite animée de son œuvre (on retrouve notamment le même type de mise en scène, et par moment les mêmes « acteurs » que sur ses photos). Hervé Guibert savait que le Cinéma permettait une nouvelle approche de l’Art, comme si « les arts » qui composent le cinéma proposaient un nouveau questionnement sur la définition qu’ils doivent maintenant se donner, puisque le cinéma « est passé par là ». En cela son film est un essai intéressant et surtout une volonté de se définir lui-même au monde par différents portraits où la Mort l’attendait patiemment dans le coin d’un angle mort.
