Durant son âge d’or, le cinéma italien n’eut jamais peur d’allier divertissement et propos engagé en abordant frontalement les maux de la société d’alors. Il faut dire qu’à travers les soubresauts des « années de plomb » orchestré par les actions des Brigades rouges et la corruption ambiante des institutions, il eut été difficile de faire abstraction de ce climat vicié. Toutes les facettes du paysage cinématographique italien, chacune à leur manière tentèrent d’exprimer ce malaise ambiant. La comédie italienne la plus cynique avec notamment Au nom du peuple italien de Dino Risi, le film politique dans Confession d’un commissaire de police au procureur de la République de Damiano Damiani ou les féroces et réactionnaires polars italiens très populaires à l’époque.
Un pur OVNI allait pourtant transcender toutes ces approches différentes en mélangeant virtuosité, thématique engagée, satire cruelle et esthétique inventive : Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon. Elio Petri était sans doute le candidat idéal pour ce film symbole. Scénariste ayant œuvré pour une des comédies italiennes les plus noires avec Les Monstres et ancien activiste communiste, il révéla, une fois passé à la réalisation, un attrait pour le policier, la folie et l’absurde dès son premier film L’Assassin. Cette alliance de conscience politique, de recul et d’humour désopilant, trouve son aboutissement avec Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Dès l’ouverture, les repères sont brouillés. Gian Maria Volonté, élégant et autoritaire commissaire de police tue la vénéneuse Florinda Balkan dans une séquence digne du giallo le plus raffiné. La révélation de sa profession n’intervient qu’ensuite, la désinvolture avec laquelle il aura quitté la scène du crime (sans quasiment se cacher, laissant les indices de sa culpabilité à foison) n’en étant que plus étonnante. On saisit rapidement que bien qu’usant avec brio des mécanismes du polar, l‘intérêt de Petri n’est pas dans la résolution de l’enquête.
Carlotta a une nouvelle fois bien fait les choses dans une édition gorgée de bonus dont on retiendra surtout l’intervention d’Ennio Morricone sur son inoubliable et entêtante musique, ainsi qu’un passionnant (et fort utile pour ce cinéaste injustement oublié) documentaire italien sur la carrière d’Elio Petri.