Cette obscurité, celle du film noir, sera celle du second régime, dévorant peu à peu le premier. La nervosité bénéfique de la mise en scène de Pablo Trapero, valeur sûre du jeune cinéma argentin depuis dix ans (Mundo Grua, El Bonaerense…), se mue alors progressivement en performance, ce dernier semblant trop heureux de laisser parler sa fibre scorsesienne. A l’aimable chronique réaliste et sentimentale succède ainsi dans la dernière partie du film une petite machine efficace mais quelque peu arrogante, privilégiant hélas la lisibilité de ses grandes lignes dramatiques à l’apprivoisement puis l’élection commune de deux âmes solitaires (on retient notamment la géniale séquence où Sosa évalue ses chances d’embrasser enfin Luján en fonction du passage des voitures, laissant deviner pour quelques minutes le possible d’une circulation heureuse – du désir et des véhicules). Comme si, au fil des scènes, l’élaboration du scénario se faisait soudain trop visible, conférant à chaque effet de mise en scène une dimension mécanique. La part opportunément réaliste du film se mue ainsi de loin en loin en prise de pouvoir du CINEMA, le seul, le vrai, avec drogue, argent, bain de sang, gunfight et tutti quanti.
Reste que Carancho, malgré ce mauvais virage spectaculaire, reste un film fort et parfois émouvant, en raison d’une constante proximité de la caméra de Trapero avec les visages, les silences, le travail d’incarnation de ses deux acteurs. Jusque dans l’extrême, le lien entre Luján et Sosa ne fait aucun doute, la possibilité que leur union ait finalement le dernier mot empêchant de décrocher de ce film noir cousu de fil blanc. C’est lorsque l’on arrive après l’accident que se prend la vraie mesure du talent de Pablo Trapero. Beaucoup moins lorsqu’il se prend au jeu de l’effet d’annonce… certes plus oppressant, mais enfin.
Bonus
Présentation du film par Sylvain Blanchard, journaliste à Brazil
Interviews de Martina Gusman et Pablo Trapero
Photographies de tournage
Bande-annonce
DVD édité chez Ad Vitam