DVD : 2 films de Philippe Garrel

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Suite à notre accueil quelque peu glacial de son dernier film, cette édition DVD de deux des plus beaux films de Philippe Garrel est l’occasion de remettre les pendules à l’heure.

Si nous n’avions pas été tendres avec Un été brûlant, dernier film de Philippe Garrel laissant soupçonner, après une décennie 2000 plutôt solide, une assez embarrassante panne d’inspiration, la sortie chez Why Not-France Inter de ce coffret regroupant deux de ses plus beaux films peut au moins marquer l’amorce d’une réconciliation. Flamboyants chacun à leur manière très distincte (strictement scénographique et expérimentale d’un côté, plus sentimentale et « linéaire » de l’autre), La Cicatrice intérieure (1971) et Liberté, la nuit (1983) sont en effet deux films rappelant à quel point, à son meilleur, le cinéma de Garrel figure, au niveau de la représentation de l’égarement, des hautes solitudes, parmi les plus puissants du cinéma français.

Des cris de Nico dans le premier film, figure féminine dont les supplications sans écho soumettent chaque plan au risque de la rupture aux larmes bouleversantes d’Emmanuelle Riva et Christine Boisson dans le second, résultantes directes, elles, d’une crainte et un constat, ceux de la perte d’un homme (le grand Maurice Garrel), circule une même hantise, celle de vivre sans réponse, de ne trouver nul rempart durable à son égarement. Toutes les figures garreliennes, à quelque époque que ce soit, sont des êtres en quête d’une impossible consolation. Attestation de solitude valant à ce cinéma la réputation d’une certaine froideur (certes réelle, mais si nécessaire, surtout) qui finalement l’honore. Ce que cet héritier direct de la Nouvelle Vague n’aura de cesse de saisir, au fond, lui qui commença à faire des films dès l’adolescence, qui surtout signera ses premiers longs métrages à l’heure où, pour la jeunesse française, tout pouvait peut-être bouger, c’est l’émerveillement naïf inhérent au processus même de représentation.

Il faut une grande part de candeur, mais aussi de courage pour faire traverser la seconde moitié d’un film par un homme entièrement nu (Pierre Clémenti). Désérotisé, ce nouvel Adam devient ainsi, après la femme en souffrance qui le précédait, le porteur d’un message obscur mais bien existant, que sa seule présence, sa seule occupation d’un espace tout aussi nu suffira à valider. Pas moins de courage pour croire qu’il suffit de filmer successivement chaque membre d’un couple disloqué en présence d’émigrés algériens pour valider leur engagement auprès du FLN. Quelque chose de l’ordre de la croyance toute bête, de la simple invitation à « jouer le jeu » pourrait aider à définir l’adhésion à des films où le plein ne peut rivaliser avec le délié. En une ellipse, une saute d’image, quelque chose du lien entre deux êtres s’est peut-être décidé ou échappé, et c’est précisément autour de la prise de conscience de ce faux mouvement que se laisse deviner l’écoulement de la fiction.

Ces deux films, par leurs ambitions artistiques a priori très différentes (tendre vers le pur déploiement d’art, la grande abstraction baroque côté Cicatrice intérieure ; recueillir les expressions les plus directes d’une mélancolie amoureuse et politique, d’un gouffre sentimental et idéologique côté Liberté, la nuit), donnent idée d’une commune aspiration de ce cinéma à la démesure et la rétention, dont certains films récents de Garrel peuvent apparaître comme les restes. Quelque chose de cette fièvre originelle touche moins immédiatement, cueille moins directement, sans pour autant que l’explication de l’usure du temps puisse être recevable. Sachant que l’œuvre de Philippe Garrel a depuis toujours été, en même temps que terrain de représentations, l’espace d’une photographie d’un certain âge de ses proches (parents, enfants, amis, amours), notre plus grande interrogation – certes un peu cruelle – pourrait porter sur sa difficulté, aujourd’hui, à articuler ses projections à l’âge de son propre fils, Louis.

Magnifique en post-adolescent désœuvré après la furie de mai 68, dans Les Amants réguliers (2005), un peu dévoré par Laura Smet dans La Frontière de l’aube (2008), c’est assurément son statut d’adulte confronté au périssement du couple qui semble rendre l’écriture garrelienne si pesante, dans le dernier film. Quelque chose du chagrin de Mouche à l’heure de sa séparation avec Jean, de la douleur de la femme suppliante incarnée jadis par Nico s’est comme évaporé. Si le père et la femme aimée ne sont plus là, gageons que ceux qui restent, le cinéaste et son fils, sauront avec le temps et les films mieux se retrouver.

DVD France Inter / Why Not Productions, collection « 2 films de »


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