DVD : 2 films de Jacques Audiard

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Le succès mérité d' »Un prophète » ne doit pas faire oublier l’obsession problématique de Jacques Audiard pour la bassesse humaine, la montée en puissance cynique des idiots au détriment des supposés leaders. C’est ce que rappelle cette réunion de deux de ses trois premiers films.

Il est intéressant de se pencher, à l’occasion de cette édition DVD chez Why Not de deux de ses trois premiers films, sur le cas Jacques Audiard, devenu depuis De battre mon cœur s’est arrêté (2005) et Un prophète (2009) l’auteur le plus prestigieux du cinéma français. Regarde les hommes tomber (1993) et Sur mes lèvres (2001) laissaient en effet déjà apparaître tout ce qui fait maintenant la patte d’Audiard fils : une méticulosité toute particulière dans l’édification du scénario (faisant de lui un storyteller avant tout), un plaisir très manifeste dans l’acte de réalisation (ralentis, accélérés, travellings filés, flashs, etc.) et surtout, une élection systématique de sujets susceptibles de faire ressortir de l’humain la part la plus sombre, la plus animale, souvent la plus mesquine.

Il n’y a pas d’alliance positive envisageable, dans ce cinéma. Tout du moins pas sans une condition stricte : celle de s’associer surtout à dessein de revanche, de trouver un compagnon de bonne fortune au détriment d’un grand Autre, un leader, celui qui jusqu’ici semblait seul maître du jeu. Tous les films d’Audiard semblent guidés par ce principe de destitution des empereurs, de manipulation des hommes de pouvoir par les sans grade, les suiveurs, sinon les idiots. « Regarde les hommes tomber », « Un héros très discret », « Un prophète » : titres ô combien parlants pour des films qui effectivement tirent leur essence de la chute des uns au profit de l’affirmation de l’autre. Dans Regarde les hommes tomber, il ne faut surtout pas croire en un sort commun de tous les hommes, voués à partager une chute universelle, mais à la fin de règne d’au moins un homme, Marx, vieux truand traînant tel un petit chien Johnny, un jeune paumé (Matthieu Kassovitz, juste avant La Haine).


Regarde les hommes tomber : dent pour dent


La question insidieuse du film, à peine masquée par le montage parallèle lui tenant lieu de principe narratif durant ses deux premiers tiers, serait en substance celle de la réversibilité des maîtres, ou plutôt la capacité instinctive des fils/toutous à suivre telle ou telle figure d’autorité selon les circonstances. Soit le dessin d’une condition humaine à l’heure du règne animal, tout ici restant affaire de flair, d’instinct, de traces disséminées ici et là à suivre sans trop réfléchir. Pareil regard sur lesdits hommes ne manque évidemment pas d’irriter, mais à tout prendre, mieux vaut cette approche franche (celle donc de ce premier film) que celle beaucoup plus retorse et suspecte d’un troisième long métrage dont, à la revoyure, la sensualité très fabriquée, le « romantisme » de façade masquent à peine le fond particulièrement abject, la morale un peu douteuse.

Sur mes lèvres : l’eau à la bouche


Sur mes lèvres, donc : Carla, une secrétaire, jouée par Emmanuelle Devos, prend pour stagiaire Paul, un ex-taulard, assez génialement incarné par Vincent Cassel ; s’ensuit, avant une deuxième heure essentiellement axée sur un scénario mal ficelé de film noir, un long travail d’apprivoisement et de maladresses laissant deviner leur attraction mutuelle. Si le film fait a priori glisser ce cinéma très viril, très masculin, vers une direction un peu nouvelle (celle du désir féminin, de l’érotisme quotidien de la vie de bureau), gêne progressivement sa manière de faire de la solidarité de son couple de héros l’arme de destruction perverse de la vie d’un caïd (Olivier Gourmet). Ce qui est supposé représenter un souffle de vie – soit l’utilisation, à des fins dramaturgiques, de l’aptitude de l’héroïne malentendante à lire « sur les lèvres » (yes !) et donc décrypter en un regard les manigances de ses collègues comme de potentiels malfrats – s’avère n’être finalement qu’un pur gadget scénaristique, prétexte surtout à sur-définir la frustration sexuelle de la jeune femme.

Pour dire les choses plus franchement : Carla ne trouve sa place dans ce cinéma, cet univers de défiance virile laissant plus d’une fois entrevoir un horizon d’homosexualité, que par son statut de fille mal baisée. L’embarquement dans les embrouilles de Paul devient alors pour elle, en même temps qu’une sortie des sentiers trop balisés de son quotidien, un pur et simple stimulant sexuel. Deux scènes au moins entérinent cette lecture : la réappropriation mot pour mot par la jeune femme, à des fins de manipulation de l’épouse de l’ennemi, des propos de sa meilleure amie, lui ayant confessé plus tôt sa joie de se laisser aller au plaisir « comme un simple morceau de viande » ; l’étreinte finale, dans la voiture, après que les hommes de pouvoir sont tombés. C’est peu dire que pareille foi dans les vertus aphrodisiaques du cynisme gagne en effet à être discutée.

DVD France Inter / Why Not Productions, collection « 2 films de »

 


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