Douleur et gloire

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Autoportrait en cinéaste.

Un film d’Almodovar. Disparu le prénom : pour ce qui s’avère être son film le plus personnel, le réalisateur abandonne Pedro pour ne retenir que son nom de cinéma, comme un spectateur dirait qu’il va voir « le dernier Almodovar ». Réalité et fiction, cinéma et vie privée, passé et présent, tout s’entrelace et se nourrit dans un va-et-vient incessant, tout comme la gloire et la douleur – un titre qui laisse à craindre un film quasi sulpicien aux relents de couronne d’épines, ce qu’il ne sera pas tant il rejette toute tentation narcissique et doloriste. Il importe peu de mesurer le degré d’éléments « vrais » dans cette autofiction, comme il importe peu de savoir si les vêtements que porte Antonio Banderas sont ceux portés par Almodovar. Pour littéral que soit le film, cette approche comptable n’apporterait rien de plus à sa compréhension.

Perclus de douleurs, dépressif chronique, anxieux et agoraphobe, Salvador Mallo est un réalisateur qui ne peut plus tourner. En panne. A l’occasion de la projection d’un de ses plus grands succès à la Cinémathèque espagnole, en version restaurée, les souvenirs affluent comme si la muséification en cours sonnait l’heure du bilan, et peut-être une remise en mouvement et de nouvelles envies.

 

 

Remémorations

Comme l’eau ramène à la mère, quelques notes de piano rapportent à la chorale du séminaire, et voilà Salvador comme coincé entre deux temporalités qui se répondent à mesure qu’elles se croisent, jusque dans son corps. A chaque personne sortie de sa vie, on se rend compte au fur et à mesure que Salvador emprunte – incorpore – une particularité : à sa mère, ses déambulations dans le couloir ; à son amour de jeunesse, une addiction. Presque incapable de sortir hors d’un antre sombre aux couleurs paradoxalement flamboyantes, Salvador voyage dans le temps à sa guise en se laissant guider par la fumée de l’héroïne vers une enfance lumineuse où le soleil parvenait même à inonder une habitation troglodyte, où sa mère avait la beauté d’une star de cinéma. Ses souvenirs seront ses premières retrouvailles ; suivront celles avec Alberto, acteur jadis perdu de vue qui entraînera à sa suite une rencontre impromptue avec un ancien amant, comme un fil d’Ariane remontant vers une scène originelle, foudroyante, catalyseuse de tous les désirs à venir. Volver le disait déjà, d’une manière plus émouvante, et Douleur et gloire vient nous le confirmer : le cinéma a le pouvoir de voir le monde se plier à ses désirs en mettant les personnes et les lieux à l’abri du temps qui passe.

 

 

Fondus au blanc

Car il n’est au fond question que de cela dans ce film, de cinéma. Enfant déjà, celui que sa mère qualifiait de « narrateur » dirigeait l’ouvrier analphabète du village lorsqu’il lui enseignait la lecture et l’écriture. Les murs blanchis à la chaux de la maison d’enfance est une toile immense sur laquelle le petit Salvador pouvait projeter autant de choses qu’il le désirait – ou poursuivre la projection des films qu’il voyait au cinéma du village. Un écran blanc que l’on retrouve sur scène derrière Alberto, son ancien acteur, lorsqu’il joue le texte de Salvador ; un écran blanc sur fond rouge, pur espace de projection quasi-abstrait comme matrice et but de toutes choses. Ces moments-là sont les plus beaux du film, hélas trop brefs, car l’ensemble manque sur l’instant de souffle alors même qu’il laisse une impression tenace de mélancolie quelques jours après le visionnage. Alors même qu’il aborde de front et sans fards la douleur, la vieillesse, les derniers jours de sa mère jusqu’à ses reproches à son égard, Douleur et gloire paraît étonnamment serein – d’autant plus après le tragique Julieta -, détaché, comme refusant tout embardées mélodramatiques et c’est peut-être cette retenue qui a quelque chose de frustrant.

 

 

Titre original : Dolor y gloria

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Durée : 112 mn


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