Douce France

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Ce beau film plein de poésie est aussi une incitation pédagogique non pas à la révolte, mais au devenir citoyen.

Prenez une banlieue, de préférence l’une des plus défavorisées de France, un projet de centre commercial gigantesque qui va encore une fois dévaster des terres agricoles et des paysages, choisissez trois jeunes lycéens charismatiques pleins de rêves et de logique, quelques politiciens pas tous véreux, des paysans souvent militants, six directeurs de la photo pas moins et surtout un excellent metteur en scène dont c’est le deuxième documentaire et qui a beaucoup voyagé et exercé plein de métiers (éducateur en quartier populaire, ouvrier agricole, puis animateur territorial auprès des collectivités) et vous obtenez ce magnifique film qui donne la pêche et le moral. En plus il s’appelle Douce France en hommage à Charles Trenet et Carte de séjour. Magnifique photo avec des images inoubliables qui font parfois penser à la poésie du film de Wim Wenders consacré à Pina Bausch, dans ces scènes où les enfants de la classe de première du lycée sont filmés lors de leur déambulation à la campagne et dans ces zones commerciales qui pullulent de nos jours. Ces enfants magnifiques ont envie de dire stop, mais comment faire quand toutes les forces financières et politiques sont contre eux ? Comment lutter contre les géants du commerce qui veulent tout abattre pour construire le projet Europacity comme pour faire concurrence à ceux de Dubaï avec ses projets fous de piste de ski en plein coeur du 9-3 ? David contre Goliath et pourtant ils ont l’intelligence et le niaque ces jeunes dits de banlieue et Geoffrey Couanon ne les a pas choisis trop caricaturaux. Ce sont des lycéens calmes et observateurs qui sont confrontés ici à la rouerie de ce nouveau monde qu’on nous a vendu et qui est pire que l’ancien. « A l’âge d’Amina, Sami et Jennyfer, déclare le réalisateur, j’ai travaillé sur les chantiers de mon père qui construisait des bâtiments industriels. J’ai ainsi découvert très tôt l’étendue des terres que détruisent ces centres commerciaux dans lesquels j’ai également beaucoup traîné. Quand on est adolescent, comment se positionner par rapport à ces enjeux, par rapport à ses proches ? »

 

 

Un très beau film qui se développe tout du long, qui se voit non pas comme un simple documentaire, mais comme un acte politique dans notre société désabusée. Les trois jeunes que Geoffrey Couanon a choisis avec l’aide de trois professeurs du lycée Jean Rostand de Villepinte réfléchissent beaucoup, se positionnent, doutent mais vont se heurter au monde réel, celui des alliances, des compromis et des trahisons. Le collectif Pour le Triangle de Gonesse se bat courageusement, rencontre élus et grands décideurs, dont notamment celui du projet Europacity. Le film se termine cependant par une sorte de happy end puisque le projet sera abandonné, mais le carton du générique de fin précise bien qu’un autre projet de centre commercial est à l’étude alors que le département de la Seine Saint-Denis est celui qui en comporte le plus. Alors victoire à la Pyrrhus ou manifeste joyeux d’un changement de cap ? Et l’écologie dans tout ça, qui s’en préoccupe ? Et le monde qu’on laisse à nos enfants, qui y pense ? Ce film est là pour faire réfléchir et on espère bien qu’il obtiendra un grand succès. Le dossier de presse nous annonce que déjà « des lycéens et des étudiants s’emparent du film : en sciences politiques, en économie, en commerce, en agronomie, en urbanisme, en architecture, en école d’ingénieurs… et en lycées généraux, agricoles, techniques ou professionnels, entre autres. Ils s’impliquent pour changer les liens de leur futur métier avec le territoire. » Bravo et bon courage à cette belle jeunesse !

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Durée : 95 mn


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