Au programme de la soirée Doc & Doc de ce mois-ci : Masao Adachi, Akiko et Diane Wellington. Trois destins singuliers et magnifiquement filmés.
Le mardi 13 mai aura lieu au Forum des images le rendez-vous documentaire mensuel Doc & Doc – évènement désormais incontournable pour les passionnés de cinéma du réel. La soirée sera consacrée à trois magnifiques films qui ont entre autres points communs l’idée de transmission entre les générations, la mémoire, mais aussi de la prééminence du personnage par rapport à son filmeur, au réalisateur. Autrement dit, dans ces trois documentaires, les cinéastes – que ce soient Arnaud des Pallières, Philippe Grandieux, Idrissa Guiro et Mélanie Pavy – s’effacent derrière leurs protagonistes. Une humilité réelle que l’on ressent à l’écran mais aussi une admiration certaine de ces talentueux auteurs pour leurs sujets et notamment celle de Grandieux pour le cinéaste japonais Masao Adachi qu’il filme dans le remarquable et très riche Il se peut que la beauté ait renforcé notre résolution– Masao Adachi (2011).
Ce film, justement, consacré donc à Masao Adachi, cinéaste expérimental et engagé à l’ultra-gauche dans les années 1960-1970, commence par un monologue de celui-ci dans la quasi-pénombre. Sa voix est impressionnante, rocailleuse, revenue de tous les combats. On entend des interrogations sur un certain passé sulfureux. Il évoque aussi ses influences – et notamment son goût pour le surréalisme, Jean Genet qu’il a rencontré après le massacre de Sabra et Chatila, en 1982 à Beyrouth. Adachi ne renie rien : "I always want to be part of revolution". C’est un artiste entier et jusqu’au-boutiste, d’une certaine manière, qui n’est jamais passé – même avec l’âge – sous les fourches caudines du conformisme et de la bourgeoisie. À un moment, au début, Grandieux réussit une séquence de toute beauté et lourde de sens lorsqu’il filme un carrefour de Tokyo, la foule des passants se déplaçant un peu comme des pantins muets, dans le crépuscule, avec comme seul éclairage les enseignes publicitaires. Pendant ce temps-là, Adachi parle toujours en voix off… Contraste saisissant entre une image crépusculaire et mécanisée de la société actuelle avec, en surimpression, la voix rauque d’un guerrier ayant voué sa existence à relier l’art, la politique et le combat. Philippe Grandieux arrive en dialoguant avec Adachi à ce que l’auteur de Red Army / PFLP – Declaration of World War (1971) définisse sa conception du cinéma. Très influencé par le Japanese Neo-Dada movement, à une époque, ainsi que par Le Premier manifeste du surréalisme d’André Breton (1924), il déclare : « J’ai compris que je pouvais faire acte de création à ma façon, avec tout ce qui me semblait flou, et qu’il suffisait d’aborder le sujet de la réalité, même si je ne la comprenais pas. »
Il se peut que la beauté ait renforcé notre résolution– Masao Adachi (Philippe Grandrieux, 2011)
Dans Cendres (2013), Akiko rapatrie au Japon une urne contenant les cendres de sa mère. Cette dernière, Kyoko, connut son heure de gloire en tant qu’actrice de la Nouvelle Vague à Paris. Akiko a découvert dans l’appartement parisien de la défunte un journal intime. Les réalisateurs Idrissa Guiro et Mélanie Pavy parviennent à nous faire percevoir le deuil d’Akiko, toute sa dignité dans l’épreuve ainsi que les interrogations et les souvenirs sur son enfance, son adolescence, qui rejaillissent dans son esprit. Ce film est d’une grande pudeur quoique l’on ressente la tristesse, le désarroi et la solitude d’une femme au moment d’un bilan qui s’impose à elle. Le fait qu’Akiko revienne, munie d’une urne, dans sa famille maternelle à Hiroshima n’est pas fortuit. La juxtaposition de l’urne remplie des restes de Kyoko avec la ville martyre dont elle est originaire et qui fut réduite en cendres en 1945 est frappante. La vie, là-bas, s’est reconstituée après la bombe atomique, mais la catastrophe a meurtri à jamais la ville et ses habitants. Plus rien ne sera jamais comme avant pour Adiko après la mort de sa mère dont elle fut souvent éloignée par le passé.
Le troisième film, Diane Wellington (2010), d’Arnaud des Pallières, n’est rien moins qu’un petit joyau. « Petit », parce que très court (15 minutes) et « bijou » parce que réalisé avec très peu de moyens : un petit film noir et blanc en forme de séquences d’archives, entrecoupées de cartons qui racontent une histoire, dans lequel l’auteur réussit à créer une tension dramatique rare. Des Pallières réinvestit le cinéma muet pour nous raconter un fait divers ayant eu lieu dans le Dakota, à la fin des années 1930, en quelques phrases courtes et informatives. Pourtant, l’apparente objectivité du style de narration (c’est celui de l’art ô combien difficile de la nouvelle) va rapidement prendre une intensité dramatique d’autant plus impressionnante que le temps imparti à l’intrigue est très bref. Des Pallières a réalisé là une sorte de chef-d’œuvre du court métrage, sans esbroufe, en toute simplicité. Nous ne dévoilerons pas le début de l’intrigue du film, car il faut absolument le découvrir par soi-même pour constater à quel point cette petite nouvelle en images est un grand film.
Séance de 19h :Il se peut que la beauté ait renforcé notre résolution – Masao Adachi (Philippe Grandieux, 2011) et Diane Wellington (Arnaud des Pallières, 2010)
Suivie d’une rencontre avec le réalisateur Philippe Grandrieux et de la directrice artistique Nicole Brenez.
Séance de 21h :Cendres (2013) de Idrissa Guiro et Mélanie Pavy
Suivie d’une rencontre avec les réalisateurs Philippe Grandrieux, Mélanie Pavy et Idrissa Guiro.